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Congo démocratique

Comment Joseph Kabila a remporté la succession

Le général-major Joseph Kabila a prêté serment vendredi 26 janvier à Kinshasa et prononcé son premier discours. Il succède ainsi à son père, Laurent-Désiré, assassiné le 16 janvier dans son palais. Sa tâche paraît des plus difficiles, mais le nouveau président a déjà su surmonter de nombreux obstacles.
Dix jours à peine après l'assassinat de son père, le général Joseph est devenu vendredi, à 29 ans seulement, le quatrième président du Congo démocratique, après Joseph Kasa-Vubu, Mobutu Sese Seko et Laurent-Désiré Kabila. «Serein», «tranquille», «très calme», tels sont les qualificatifs employés à son égard par ceux qui l'ont rencontré ces derniers jours, alors qu'il dirige un pays très vaste de plus de 50 millions d'habitants qui n'est toujours pas un véritable Etat. Et ce d'autant plus qu'il est partagé en deux, voire trois «zones» depuis plus de deux ans. Il s'est formellement engagé à «garantir l'indépendance, l'unité et la cohésion du peuple congolais, ainsi que l'intégrité du territoire national». Ce qui, en RDC, fait cruellement défaut depuis belle lurette.

Selon la Cour suprême, Joseph Kabila est âgé de 29 ans (pas 32, comme on croyait jusque là), est né le 4 juin 1971 dans le Sud-Kivu, dans le territoire de Fizi (pas au Rwanda ou en Tanzanie) de père et de mère congolais (pas de mère tutsi rwandaise). Ces précisions officielles visent à mettre un terme à de nombreuses rumeurs concernant le jeune président, qui n'avait été aperçu dans le sillage du père qu'en 1996, lors de l'offensive ougando-rwandaise contre Mobutu. Son ascension a été fulgurante mais discrète. Mais, c'est surtout son sang froid qui lui a permis de se hisser sur la plus haute marche, dès le lendemain de l'assassinat de son père. Non sans difficultés.

Des clivages qui ont failli provoquer une fusillade

Si l'on en croit différentes sources, une véritable course contre la montre a été aussitôt engagée entre les modérés partisans du dialogue intercongolais et les ultras nationalistes opposés à tout compromis avec les «rebelles» et les anciens «parrains» de Kampala et de Kigali. Un clivage en partie ethnique, car il opposait le colonel Eddy Kapend (un Lunda), aide de camp et chef d'état-major particulier de Laurent Kabila, au ministre de l'intérieur Gaétan Kakudji (un Luba du Katanga cousin du président assassiné), qui a failli se terminer par une fusillade générale.

Finalement, c'est un troisième larron, Joseph Kabila, qui s'est imposé, en s'appuyant surtout sur des éléments sûrs des services de sécurité, grâce à une alliance avec Eddy Kapend et, semble-t-il, avec l'accord du tout puissant allié angolais. Selon µTelex confidentiel', ceci se serait joué dès le 17 janvier, lors de la première réunion extraordinaire du gouvernement, et aurait finalement permis de préparer l'opinion publique congolaise à l'annonce de l'assassinat du président, tout en évitant un autre écueil de taille : les menaces venant des «rebelles» pro-rwandais de l'est (RCD) mais aussi des anciens officiers de l'armée mobutistes réfugiés au Congo-Brazzaville voisin.

Car, la mort de Kabila a aussitôt déclenché une série de réactions (plus ou moins réfléchies), chez tous les protagonistes de la guerre congolaise. Tous visant à «foncer sur Kinshasa» le plus vite possible. Finalement, l'alliance Joseph Kabila-Eddy Kapend et l'intervention de l'armée angolaise (qui a envoyé des renforts à Brazzaville comme à Kinshasa) a permis de neutraliser toutes les initiatives militaires en préparation. C'est d'ailleurs pour cela que le président du Congo-Brazzaville, Sassou Nguessou, a renoncé à participer au sommet franco-africain de Yaoundé : il a dû faire intervenir son armée pour empêcher les anciens mobutistes d'attaquer Kinshasa, et donc une arméeà alliée : celle de l'Angola, présente sur les deux rives du Congo.

Parallèlement, un vaste remue-ménage diplomatique confirmait la volonté de l'Angola, du Zimbabwe, mais aussi de l'Ouganda, de mettre un terme à un conflit qui coûte de plus en plus cher. C'est parce qu'il était convaincu qu'il existait une «opportunité unique» de remettre sur les rails les accords de Lusaka, que le ministre belge des Affaires étrangères, s'est lancé dans une tournée de sept pays (et 17 000 kilomètres !) en trois jours. Avec quelques résultats : Yoweri Museveni a déjà fait savoir que l'Ouganda a «atteint ses objectifs au Congo» (à savoir l'affaiblissement de ses propres rebelles de l'ADF, basés à cheval sur la frontière ougando-congolaise, des deux côtés des Monts Ruwenzori). En se retirant du Congo, l'Ouganda laisse sur place le Front de libération du Congo (FLC) de Jean-Pierre Bemba, dont on a remarqué la modération vis-à-vis de Kinshasa : «nos forces sont en stand-by et je leur ai donné l'ordre de ne pas bouger, a-t-il dit. Nous attendons un signal clair de Kinshasa. Les accords de Lusaka sont très bons : il ne faut pas les renégocier».

C'est un tout autre son de cloche qui vient de l'est du Congo démocratique : les rebelles du RCD que préside Adolphe Onusumba continuent d'envoyer des signaux contradictoires. Jeudi l'un de leurs porte-parole a demandé à l'ONU et à l'OUA de ne pas reconnaître le nouveau pouvoir de Kinshasa. Tandis que leurs «parrains» semblent hésiter. «Le Rwanda n'est pas un obstacle à la paix en RDC plus qu'un autre belligérant» s'est contenté de déclarer le ministre belge, après avoir rencontré le président rwandais Paul Kagamé. Mais l'attentisme de celui-ci contraste avec la détermination de l'Angola et du Zimbabwe qui «pour des motifs différents n'ont pas l'intention de rester en RDC ; ils ont la tentation de sortir du Congo en sortant du conflit», a précisé Louis Michel. C'est aussi ce qu'a déclaré vendredi Aldo Ajello à Luanda. Pour l'envoyé spécial de l'Union européenne en charge de la région des Grands Lacs, «il semble maintenant que l'option de la paix s'impose sur l'option de la guerre. Auparavant, il y avait clairement une préférence pour l'option militaire».

Son optimisme est vraisemblablement basé sur la conviction que Joseph Kabila, à l'opposé de son père, a opté lui aussi pour le dialogue intercongolais. Si cela était le cas, les ultras de l'entourage de Laurent Kabila opposés à tout compromis ont bien raison de se préoccuper de leur avenir. Car tout dialogue intercongolais comporte un certain partage du pouvoir et donc la fin de certaines carrières.



par Elio  Comarin

Article publié le 26/01/2001