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Congo démocratique

Une disparition qui arrange (presque) tout le monde

Quelques heures à peine après la confirmation officielle de la mort de Laurent Kabila, des combats à l'arme lourde ont repris, dans la matinée de vendredi 19 janvier, autour de la ville de Bunia, à l'extrême est du Congo démocratique, selon des sources de l'ONU de Goma, la « capitale » des rebelles du RCD (pro-rwandais). A Kinshasa, par contre, après une première nuit de deuil particulièrement calme, la population a repris le chemin du travail, en attendant les obsèques officielles du président Kabila, prévues pour mardi prochain. La dépouille de l'ancien président congolais sera rapatriée de Harare (Zimbabwe) dès lundi, et une cérémonie privée est prévue le même jour à Lubumbashi, la capitale du Katanga (sud-est). Les circonstances exactes de l'attentat qui lui a coûté la vie, mardi dernier en début d'après-midi demeurent peu claires, alors que sa disparition semble arranger la plupart des protagonistes de la longue guerre du Congo démocratique.
Avant même l'annonce officielle de son décès, Laurent-Désiré Kabila a été vite enterré - sinon oublié - par la plupart des chancelleries africaines et occidentales. Sans que trop de larmes ne soient versées sur quelqu'un qui a été perçu, à tort ou à raison, comme l'un des principaux obstacles au retour à la paix d'un pays de 50 millions d'habitants qui n'aura connu qu'une seule élection libre et démocratique : celle de 1960 qui a permis à Patrice Lumumba de devenir premier ministre.

En fait, alors que les agences d'information du monde entier continuaient à se bagarrer pour un « scoop funèbre » devenu entre temps un secret de Polichinelle, les grandes man£uvres autour du Congo démocratique reprenaient des plus belles. Au Congo, à Yaoundé, chez les « rebelles » et leurs parrains (Ouganda, Rwanda et Burundi) comme dans le camp des « kabilistes » et leurs protecteurs (Angola, Zimbabwe et Namibie).

C'est Kampala qui a ouvert la danse. Dès mardi soir, une réunion d'urgence a réuni dans la capitale ougandaise toutes les composantes de la rébellion soutenues par Yoweri Museveni, à commencer par la principale d'entre elles : le MLC (Mouvement pour la libération du Congo) de Jean-Pierre Bemba, qui contrôle en partie le nord du pays aux côtés des forces ougandaises. Un « Front congolais de libération » (FCL) a été créé par le MLC et deux factions du RCD (Rassemblement congolais pour la démocratie). « Ils ont accepté de fusionner leurs armées, de partager la direction et ont créé des institutions » a précisé par la suite leur « porte-parole », l'Ougandais James Wapakabulo. A noter qu'une troisième faction - le RCD-Kisangani que dirige Ernest Wamba dia Wamba - a refusé de s'associer à cette démarche, en précisant que Kampala avait imposé cet accord à « ses » rebelles, « sans même consulter les Congolais ».

L'autre mouvement rebelle, le RCD-Goma que soutient le Rwanda de Paul Kagamé, continue pour sa part à faire le ménage au sein de sa direction. Un ménage qui a commencé en octobre dernier - sur ordre de Kigali - et qui n'est visiblement pas fini. On croyait que la mise en place d'une nouvelle équipe présidée par Adolphe Onusumba, que l'on disait plus efficace et moins corrompue, allait rendre une certaine crédibilité à ce mouvement basé à Goma. C'était compter sans l'élimination physique de Laurent Kabila, aussitôt attribuée à l'Angola par un porte-parole du RCD-Goma. Avant que celui-ci ne soit officiellement démenti quelques heures plus tard par un autre communiqué du même mouvement, signé par le commandant Jean-Pierre Ondekane, chef du Département des Activités militaires.

Pour mettre un terme à la cacophonie et aux disputes incessantes, le Rwanda a littéralement convoqué à Kigali les dirigeants du RCD-Goma - y compris ceux qui s'étaient rendus à Yaoundé - pour « discuter de la suite des événements » et « gérer la nouvelle situation ». Cette réunion devait débuter ce jeudi 18 janvier, en fin de journée. L'armée rwandaise et le RCD-Goma occupent toujours une grande partie de l'est du Congo démocratique.

La valse diplomatique des « parrains »

Depuis près de deux ans, les deux mouvements de rébellion et leurs « parrains » gèrent leurs territoires respectifs comme un état, avec des fonctionnaires qui perçoivent des taxes, concèdent des exploitations (surtout minières), recrutent des jeunes pour leurs unités militaires et assurent même une sorte de « politique étrangère » vis-à-vis des pays amis de la région. Dès l'annonce de l'attentat perpétré contre Kabila, ils ont réclamé de la part de Kinshasa « la reprise immédiate du dialogue intercongolais », prévu dans les accords de cessez-le-feu mais jamais appliqué. « Nous n'allons pas accepter que l'on impose quelqu'un à Kinshasa sans que l'opposition armée soit consultée » a ajouté Jean-Pierre Ondekane (RCD-Goma), à la suite de la nomination de Joseph Kabila comme successeur de son père. Alors que Jean-Pierre Bemba (MLC) appelait le médiateur - l'ancien président botswanais Ketumile Masire - « à organiser dans les plus brefs délais la réunion préparatoire du dialogue intercongolais ».

Pour éviter toute complication, dès que la nouvelle de la mort de Laurent Kabila a été officieusement confirmée, le gouvernement américain, qui n'a jamais caché ses sympathies pour l'Ouganda et ses alliés, a mis en garde mercredi les pays militairement impliqués au Congo démocratique contre toute « exploitation de la situation » pour renforcer leurs positions. Ce qui semble suivi d'effet, mais n'a pas empêché les « sponsors » politiques et militaires de se lancer dans une valse diplomatique qui ne fait que commencer.

L'Ouganda et le Rwanda, tout en essayant de régler les problèmes internes de « leurs » rebelles, ont tenu à démentir par avance toute implication dans un attentat qu'ils ont du mal à regretter, car la disparition de Laurent Kabila ne peut que fragiliser leurs ennemis de Kinshasa. Quant à l'Angola et au Zimbabwe, les deux pays les plus impliqués dans la défense de la République congolaise et du « clan » Kabila, ils ont aussitôt profité de l'occasion pour réclamer une solution rapide. La guerre est pour les deux pays un poids de plus en plus lourd, à la fois économiquement, politiquement et militairement. De plus, leurs opinions publiques commencent à se manifester et à dénoncer - discrètement - une intervention militaire beaucoup trop chère. Car Laurent Kabila avait pris la (mauvaise) habitude de mettre ses alliés devant le fait accompli, en lançant son armée (plutôt faible) dans des offensives peu mûries et mal préparées qui obligeaient par la suite les alliés à augmenter constamment leur présence sur le sol congolais.

Pour toutes ces raisons, l'Angola et le Zimbabwe cherchent visiblement à se dégager du bourbier congolais. Il devraient en discuter lors d'une réunion d'urgence prévue pour ce vendredi, en compagnie du troisième allié de Kinshasa : la Namibie.

En effet, Eduardo Dos Santos a lui aussi demandé dès mercredi la reprise du dialogue intercongolais, dans le but évident de rétablir le contact avec l'Ouganda et le MLC, qui semblent disposer d'une armée capable de « foncer sur Kinshasa » en quelques jours à peine. De son côté Robert Mugabe, de plus en plus contesté par son opposition sur cette question, a fait un geste tout à fait inhabituel : il a demandé au président français Jacques Chirac de « mettre tout son poids pour trouver une solution pour une paix durable ». Avant de quitter précipitamment Yaoundé et le sommet franco-africain pour Harare, où la dépouille de Laurent Kabila attend d'être rapatriée au Congo, pour être enterrée à Lubumbashi.

Laurent Kabila était un nationaliste autocrate, swahilophone et très peu démocratique, qui n'a jamais été tout à fait accepté par Kinshasa, une métropole délaissée, débridée et lingalophone, qui n'a que très peu de contacts avec l'est du pays, d'où il était originaire. Il ne sera véritablement pleuré que par les siens. Car sa disparition brutale arrange presque tout le monde. A commencer par ses propres alliés.



par Elio  Comarin

Article publié le 19/01/2001