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Indonésie

Nettoyage ethnique

Dimanche, des scènes de violence insoutenable continuaient de se dérouler dans la partie indonésienne de l'île de Bornéo où la chasse à l'homme à grande échelle a déjà fait plusieurs dizaines de morts.
De notre correspondante en Indonésie

Des cadavres décapités, d'autres brûlés vifs, des corps qui jonchent les rues alors que les gangs de Dayaks armés de machettes et de flèches empoisonnées écument les routes. C'est une véritable chasse à l'homme que ces tribus de chasseurs et coupeurs de têtes, habitants traditionnels des forêts de Bornéo, ont lancé contre les migrants, Madurais et Javanais essentiellement. Dans la ville de Sampit, dans le centre de Kalimantan, théâtre de féroces affrontements depuis dimanche dernier, près de 200 victimes ont déjà été recensées. Devant les ruines fumantes, des corps d'adultes et d'enfants gisent dans des mares de sang. La police n'arrive pas à reprendre le contrôle de la situation.

Si les Dayaks sont chrétiens et ceux qu'ils traquent, Madurais et Javanais, musulmans, ce n'est pas un conflit religieux, semblable à celui des Moluques qui ensanglante la province. Il ne s'agit pas non plus de violences séparatistes comme l'Indonésie en connaît à Aceh, dans le nord de Sumatra, ou en Papouasie occidentale. Les autorités parlent de nettoyage ethnique. Les Dayaks ont en effet entrepris de vider la région de dizaines de milliers d'immigrants.

L'héritage des années Suharto

Les heurts intercommunautaires éclatent régulièrement à Bornéo. Ils trouvent leur origine dans un programme de transmigration très contesté et aujourd'hui abandonné, développé durant les années Suharto. Pendant plusieurs décennies, le gouvernement de Jakarta a déplacé des dizaines de milliers d'Indonésiens des îles surpeuplées de Java et Madura vers les autres îles de l'archipel pour mieux répartir les populations. Ces migrants n'ont jamais été acceptés par les populations locales, qui les considèrent comme des colons. Les locaux ont été souvent dépossédés de leurs terres et traités comme des sous-hommes par les nouveaux arrivants.

Pendant 32 ans, le régime de Suharto a réussi, par une féroce répression militaire, à contenir les conflits qu'il avait lui-même suscités. Depuis la chute du tyran, en 1998, les soupapes ont sauté et les problèmes remontent les uns après les autres à la surface. Les populations ne font pas confiance au gouvernement pour résoudre leurs problèmes et se livrent de plus en plus souvent à une justice expéditive. Divisées, les forces de sécurité ne parviennent plus à ramener le calme quand elles ne sont pas directement responsables de l'escalade des conflits.

La communauté internationale s'inquiète de plus en plus ouvertement de l'anarchie qui gagne le vaste archipel alors que le gouvernement du président Wahid ne parvient pas à éteindre les feux qui déchirent un nombre croissant de provinces. Le Département d'Etat exhorte de nouveau les citoyens américains à ne pas se rendre dans le pays, jugeant que les émeutes et les violences peuvent éclater à tout moment. La Banque mondiale juge que l'Indonésie pourrait de nouveau voir son économie s'effondrer si le gouvernement ne restaure pas un semblant de stabilité politique et que l'intégrité du pays est menacée. Seul, semble-t-il, à ne pas s'en faire, le chef de l'Etat est parti en tournée à l'étranger en assurant que tout allait pour le mieux. Sa désinvolture est de plus en plus critiquée. Pendant qu'il voyage, des milliers d'Indonésiens terrorisés tentent d'échapper à la vengeance des tribus de Bornéo. La poursuite des violences retarde les opérations d'évacuation et les forces de sécurité avouent être dépassées par les événements. Elles ne tentent même plus d'arrêter les convois de Dayaks qui traquent les migrants et brûlent les maisons qu'ils ont abandonnées.



par A Djakarta, Marie-Pierre  VEROT

Article publié le 25/02/2001