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Côte d''Ivoire

L'ombre du général Gueï

Officiellement «retiré» dans son village, l'ex-chef de la junte ivoirienne est loin d'avoir abandonné la vie publique. En lançant l'Union pour la démocratie et pour la paix (UDP), le 25 février, ses partisans espèrent le voir peser sur l'échiquier politique ivoirien, en jouant notamment sur leur alliance avec le parti de Laurent Gbagbo. Mais l'issue sanglante de ses dix mois de pouvoir pèse lourd sur ses ambitions.
Robert Gueï n'était pas présent au palais des congrès de l'hôtel Ivoire à Abidjan, où s'est tenu la cérémonie de lancement de l'Union pour la démocratie et pour la paix (UDP), le 25 février. Officiellement, l'ex-chef de la junte n'occupe aucune fonction dans ce nouveau parti. Mais il a été créé pour lui par des personnalités bien connues de son entourage, pour la plupart dissidents du PDCI (ex-parti unique) ou membres de l'ancien pouvoir militaire. Son président, Paul Akoto Yao, ex-ministre des présidents Houphouët-Boigny et Konan Bédié, fait partie des ralliés de la première heure à Robert Gueï. De même que Danielle Boni-Claverie, qui fut également ministre du chef de l'Etat renversé le 24 décembre 1999, ou Balla Keïta, vieux thuriféraire de feu Houphouët-Boigny. Et à en croire ceux qui ont participé à la réunion- en présence de plusieurs milliers de sympathisants, diplomates et membres de la coalition au pouvoir û le nom de l'ancien «général-président» était sur toutes les lèvres.

Car bien que retiré dans son village de Kabacouma, dans l'ouest du pays, Robert Gueï a fait comprendre depuis longtemps qu'il ne comptait pas rester en retrait de la République. Arrivé par surprise à la tête du pays le 24 décembre 1999 pour «nettoyer la maison» avant de se porter candidat à une élection présidentielle qu'il affirme toujours avoir gagné, le général a trop goûté au pouvoir pour souhaiter s'en éloigner définitivement.

Une impunité de fait

Lors de sa première réapparition publique, en compagnie de Laurent Gbagbo, à Yamoussoukro, début novembre, il s'était dit prêt à apporter sa contribution «au service de la République». Et même s'il n'est officiellement candidat à rien, il n'a jamais été aussi présent depuis sa chute, après le soulèvement populaire et le ralliement de l'armée en faveur de l'actuel président au lendemain du scrutin du 22 octobre 2000.

L'ombre de Robert Gueï plane sur le procès des généraux Palenfo et Coulibaly, ses anciens numéros deux et trois, ouvert le 21 février pour être finalement reporté au 2 mars et dont il est le grand absent. En refusant jusqu'ici, de témoigner dans l'affaire de l'attaque de sa résidence, début septembre 2000, présentée alors comme une «tentative d'assassinat», il renforce le sentiment largement partagé qu'il jouit d'une impunité de fait, malgré sa responsabilité dans les événements sanglants des 24 et 25 octobre dans son pays. D'aucuns assurent qu'il la doit à l'ascendant qu'il conserve sur une partie des militaires ivoiriens et qu'il dispose encore d'une garde rapprochée fortement armée. Ce que nient farouchement les autorités ivoiriennes. Selon un responsable français, l'apparente mansuétude de Laurent Gbagbo viserait aussi à ménager un Robert Gueï, qui entretient des relations étroites avec l'ancien chef de guerre et président libérien Charles Taylor, accusé d'avoir fourni des mercenaires à la junte ivoirienne dans les derniers mois de la période militaire.

Avec quatorze députés, son parti devient aussi le troisième mouvement représenté au parlement, derrière le FPI (au pouvoir, 96 sièges) et le PDCI (94 sièges) et devant le PIT (Parti ivoirien du travail, 4 sièges). Cette position lui permettrait de se positionner comme recours éventuel en cas de rupture avec l'ancien parti unique. Pour l'instant, l'Union pour la démocratie et pour la paix, avec deux ministres au gouvernement (Gilbert Bleu-Lainé et Eric-Victor Kahé Kplohorou), joue en effet la carte de l'alliance avec le parti de Laurent Gbagbo, avec en filigrane l'idée d'obtenir une grâce pour son leader.

La capacité de ce nouveau mouvement à peser sur l'échiquier politique reste néanmoins à prouver. «L'UDP s'appuie pour l'instant essentiellement sur des députés issus de l'ouest du pays et il reste immanquablement marqué par son mentor, qui est rejeté par une large part de la population ivoirienne», souligne Diegou Bailly, directeur du quotidien indépendant abidjanais le Jour. Au cours de la cérémonie de lancement, le président du mouvement Paul Akoto Yao a tenu un tout autre discours en s'engageant avec son équipe de l'UDP à «faire de la politique autrement en Côte d'Ivoire». Reste à savoir s'il convaincra tous ceux pour qui la personnalité du général Gueï reste à associé à sa chute sanglante et à une gestion qui laisse la Côte d'Ivoire exsangue.



par Christophe  Champin

Article publié le 27/02/2001