Liban
Prisonnier de Khiam:<br> de «l'enfer» au «paradis»
Sleiman Ramadan a été le premier prisonnier libanais enfermé et torturé dans la prison de Khiam. Il raconte l'enfermement et la vie dans le camp, vue de l'intérieur.
Une date: le 17 septembre 1985. C'est ainsi que se définit Sleiman Ramadan. Ce jour-là, il est capturé lors d'une opération militaire. Militant du parti communiste libanais, Sleiman combat au sein de la résistance libanaise contre Israël qui occupe alors une partie de son pays, le sud-Liban. Il devient alors le premier détenu libanais, le premier prisonnier de Khiam, ce camp de détention tenu par l'auxiliaire d'Israël, l'armée du Liban-sud, dans le village de Khiam à l'intérieur de la zone occupée.
Le 17 septembre 1985, Khiam n'existe pas encore en tant que prison, l'ancienne caserne française est tout juste un centre d'arrestation. Blessé à la jambe, Sleiman est rapatrié sur Haïfa. Il ne deviendra prisonnier qu'un mois et dix jours plus tard, le 27 octobre 1985. «Un mois et dix jours de vide», dit-il. Un mois et dix jours volés à son identité de détenu. Cette période est la plus dure, «la torture y est indescriptible». Peu de mots pour la décrire. 73 jours passés les menottes aux poings, la tête couverte d'un sac, installé sur un chariot dans un couloir, sans aucun soin pour ses blessures alors que sa jambe droite vient d'être amputée. «De faim, je mangeais mes ongles et la peau de mes doigts. Mais cela n'était rien par rapport aux brutalités et à la torture qui tombait à n'importe quel moment».
Neuf mois dans une cellule de 90 cm sur 90 cm
Après, pour Sleiman, ce sera la cellule. Neuf mois passés dans une cellule d'isolement: 90 cm sur 90 cm. Sleiman intègre le camp de Khiam, le régime de détention que connaîtront plus de 200 Libanais au cours des 22 années d'occupation israélienne. Et il décrit. Il raconte avec minutie la vie à Khiam. Il veut tout dire, craint d'oublier un détail. Comme pour faire comprendre quelque chose qui ne peut l'être. Son récit est structuré. Posé et calme. Pour donner un nom à cette réalité, les détenus ont divisé l'histoire de Khiam en plusieurs phases.
Première époque (1985-1989), c'est «l'enfer», «nous sommes privés de tout. C'est le règne de la maladie et de la faim. Les douches que nous prenons sont parfois espacées de deux mois». Les prisonniers s'entassent à sept dans une cellule de 2,25 m sur 2,25 m, avec un seau d'eau de trois litres pour satisfaire tous les besoins d'hygiène.
Deuxième époque (1989-1994), c'est «la sécheresse». «A ce moment là, la torture diminue, la souffrance est moindre mais il n'y a aucune amélioration des conditions de détention». L'année 1994 marque une transition. C'est à ce moment que naît l'espoir de voir entrer le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) entrer dans la prison de Khiam. Déjà, en octobre 1989, les détenus s'étaient soulevés pour réclamer l'intervention du CICR; la répression du soulèvement avait abouti à la mort de deux d'entre eux. Cette fois, ils pensent obtenir gain de cause. Dans les cellules, un coin d'eau est aménagé: «une salle de bain avec un robinet d'eau». Il mime de sa main le geste qu'il a fait lorsqu'il a ouvert pour la première fois ce robinet. «J'ai du mal à croire que l'on a eu cette salle de bain», dit-il en souriant.
Commence alors en 1995, la phase qu'ils appellent «le paradis». Le CICR entre à Khiam et Sleiman peut enfin raconter Khiam au monde extérieur. Plus qu'une aide matérielle l'action du CICR en rompant l'isolement redonne aux détenus une dimension humaine. Dans la première lettre qu'il reçoit de sa famille, une photo de son neveu. «En voyant cet enfant, j'ai su que j'existait en tant qu'être humain. C'est la plus grande joie de ma vie. Même à la libération, je n'ai pas ressenti cette joie-là». La libération a un goût amer. Après l'allégresse, et la médiatisation, Sleiman a retrouvé cet isolement. Les promesses d'une prise en charge de sa jambe amputée n'ont pas été tenues. Il dit: «Au moins pendant l'occupation, les gens étaient simples, il y avait du respect».
Le 17 septembre 1985, Khiam n'existe pas encore en tant que prison, l'ancienne caserne française est tout juste un centre d'arrestation. Blessé à la jambe, Sleiman est rapatrié sur Haïfa. Il ne deviendra prisonnier qu'un mois et dix jours plus tard, le 27 octobre 1985. «Un mois et dix jours de vide», dit-il. Un mois et dix jours volés à son identité de détenu. Cette période est la plus dure, «la torture y est indescriptible». Peu de mots pour la décrire. 73 jours passés les menottes aux poings, la tête couverte d'un sac, installé sur un chariot dans un couloir, sans aucun soin pour ses blessures alors que sa jambe droite vient d'être amputée. «De faim, je mangeais mes ongles et la peau de mes doigts. Mais cela n'était rien par rapport aux brutalités et à la torture qui tombait à n'importe quel moment».
Neuf mois dans une cellule de 90 cm sur 90 cm
Après, pour Sleiman, ce sera la cellule. Neuf mois passés dans une cellule d'isolement: 90 cm sur 90 cm. Sleiman intègre le camp de Khiam, le régime de détention que connaîtront plus de 200 Libanais au cours des 22 années d'occupation israélienne. Et il décrit. Il raconte avec minutie la vie à Khiam. Il veut tout dire, craint d'oublier un détail. Comme pour faire comprendre quelque chose qui ne peut l'être. Son récit est structuré. Posé et calme. Pour donner un nom à cette réalité, les détenus ont divisé l'histoire de Khiam en plusieurs phases.
Première époque (1985-1989), c'est «l'enfer», «nous sommes privés de tout. C'est le règne de la maladie et de la faim. Les douches que nous prenons sont parfois espacées de deux mois». Les prisonniers s'entassent à sept dans une cellule de 2,25 m sur 2,25 m, avec un seau d'eau de trois litres pour satisfaire tous les besoins d'hygiène.
Deuxième époque (1989-1994), c'est «la sécheresse». «A ce moment là, la torture diminue, la souffrance est moindre mais il n'y a aucune amélioration des conditions de détention». L'année 1994 marque une transition. C'est à ce moment que naît l'espoir de voir entrer le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) entrer dans la prison de Khiam. Déjà, en octobre 1989, les détenus s'étaient soulevés pour réclamer l'intervention du CICR; la répression du soulèvement avait abouti à la mort de deux d'entre eux. Cette fois, ils pensent obtenir gain de cause. Dans les cellules, un coin d'eau est aménagé: «une salle de bain avec un robinet d'eau». Il mime de sa main le geste qu'il a fait lorsqu'il a ouvert pour la première fois ce robinet. «J'ai du mal à croire que l'on a eu cette salle de bain», dit-il en souriant.
Commence alors en 1995, la phase qu'ils appellent «le paradis». Le CICR entre à Khiam et Sleiman peut enfin raconter Khiam au monde extérieur. Plus qu'une aide matérielle l'action du CICR en rompant l'isolement redonne aux détenus une dimension humaine. Dans la première lettre qu'il reçoit de sa famille, une photo de son neveu. «En voyant cet enfant, j'ai su que j'existait en tant qu'être humain. C'est la plus grande joie de ma vie. Même à la libération, je n'ai pas ressenti cette joie-là». La libération a un goût amer. Après l'allégresse, et la médiatisation, Sleiman a retrouvé cet isolement. Les promesses d'une prise en charge de sa jambe amputée n'ont pas été tenues. Il dit: «Au moins pendant l'occupation, les gens étaient simples, il y avait du respect».
par Caroline DONATI
Article publié le 04/03/2001