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Angolagate

Le procès des «anti-Françafrique»

François-Xavier Verschave et son éditeur sont poursuivis devant la justice française pour offense à trois chefs d'Etat africains. Le président de l'association Survie, auteur de Noir Silence, un brûlot contre la politique africaine de la France, y voit une occasion de mieux se faire entendre.
Pour ses détracteurs, à commencer par le président gabonais, l'un des chefs d'Etats qui le poursuivent devant la justice française, il est au mieux un documentaliste ne vérifiant pas ses informations. Mais pour ses supporters, et les militants qui le soutiennent en France et en Afrique, François-Xavier Verschave est une sorte de héros, enfin prêt à dénoncer les turpitudes de la «Françafrique». Le terme fut utilisé un jour par le chef de l'Etat ivoirien Houphouët-Boigny pour désigner l'imbrication étroite entre l'ancienne métropole et ses ex-colonies du sud du Sahara. Aux yeux du président de Survie, une association devenue un véritable groupe de pression, ce néologisme évoque les pires aspects des relations franco-africaines. Dans deux ouvrages successifs, la Françafrique et le récent Noir silence, Qui arrêtera la Françafrique, il décortique minutieusement, mais avec l'£il du militant qu'il ne cache pas être, ce qu'il présente comme l'implication de la France, ou de certaines de ces émanations, dans toute une série d'événements dramatiques de l'histoire récente du continent noir.

Son deuxième ouvrage est celui qui aura provoqué le plus de réactions. Il figure en bonne place dans les librairies françaises et suscite un intérêt certain sur le continent noir. Et en quelques mois, François-Xavier Verschave, qui n'en est pas à son coup d'essai, a acquis une indéniable notoriété et le soutien de nombreuses personnalités, dont le député Vert Noël Mamère, l'écrivain Didier Daeninckx ainsi qu'une pléiade d'associations et d'intellectuels. N'en déplaise à ceux qui raillent son absence sur le terrain et mettent en avant l'imprécision de certaines de ses informations.

Une tribune inespérée

Ce n'est d'ailleurs pas le motif des plaintes dont il fait l'objet de la part de trois chefs d'Etat africains. Le Congolais Denis Sassou Nguesso, le Tchadien Idriss Deby et le Gabonais Omar Bongo, poursuivent le président de Survie devant la justice française pour offense à «chef d'Etat étranger», un délit inscrit dans une loi de 1881. La procédure a pour particularité de ne pas permettre aux prévenus de faire la preuve de leurs accusations qui ne peuvent être jugés que sur leur «bonne foi».

Dans Noir silence, paru en avril 2000, François-Xavier Verschave, accuse entre autres le président congolais de crimes contre l'humanité et son homologue tchadien d'être un «assassin invétéré». Pour sa part, le numéro un gabonais est décrit comme le chef «d'une démocrature prédatrice» et un «parrain régional». A cause de ces propos, et de quelques autres retenus par les trois dirigeants, son éditeur et lui risquent pour chaque plainte une amende de 300 000 FF.

L'affaire le fait plutôt sourire, car il y voit une occasion inespérée de faire passer ses idées. «Ces chefs d'Etat ont commis une erreur magistrale», s'amuse François-Xavier Verschave. Depuis le début du procès, le 28 février dernier, la dix-septième chambre correctionnelle du tribunal de Paris a vu défiler à la barre toute une série d'opposants aux régimes des chefs d'Etats plaignants. Lors de la deuxième audience, mardi 6 mars, une dizaine de témoins étaient ainsi cités à comparaître. Parmi eux, le député Ngarléjy Yorongar, opposant irréductible au président Idriss Déby, qui s'est livré à un réquisitoire en bonne et due forme contre l'homme fort de N'Djamena. Il n'a pas manqué de faire état des «onze arrestations et des tortures» qu'il a subies depuis huit ans, des exactions menées par le régime et de plusieurs affaires de fausse monnaie impliquant selon lui le chef de l'Etat tchadien.

Les défenseurs des présidents africains, dont Me Jacques Vergès, concentrent leurs critiques sur ce qu'ils considèrent comme le principal point faible du travail du président de Survie. Ce dernier reconnaît ne pas avoir mené d'enquêtes de terrain et s'appuyer essentiellement sur des témoignages et des sources documentaires. «Est-ce que vous êtes déjà allé au Tchad ?», demande l'un d'eux au président de Survie. «Non», reconnaît l'intéressé. L'avocat jubile. Le prévenu n'en a cure. Avec ce procès, son association et tous ceux qui la soutiennent estiment déjà avoir remporté une victoire en attirant l'attention de l'opinion sur leur action.




par Christophe  Champin

Article publié le 06/03/2001