Rechercher

/ languages

Choisir langue
 

Sida

Prix des médicaments : la polémique

Le procès intenté par 39 firmes pharmaceutiques internationales à l'Etat sud-africain relance le débat autour du prix des traitements destinés aux malades du sida dans les pays en développement. Depuis la Conférence internationale sur le sida de Durban, qu'ont fait les laboratoires ? Cette semaine RFI ouvre le dossier et nous attendons vos témoignages.
Dernière proposition en date : les laboratoires américains Merck ont annoncé, le 7 mars, leur intention de baisser les prix de leurs médicaments anti-sida destinés aux pays africains «avec effet immédiat». La réduction envisagée pourrait être de l'ordre de 40 % et concernerait pour la première fois un médicament de la catégorie des inhibiteurs de la protéase (qui bloquent l'enzyme responsable de la propagation du virus à d'autres cellules). Fin février, un autre géant du secteur pharmaceutique GlaxoSmithKline avait aussi annoncé son intention de proposer aux ONG des traitements contre le sida à 10 % de leur prix normal .

Ces efforts qui peuvent sembler louables ne font pourtant pas l'unanimité. Depuis la Conférence internationale sur le sida (juillet 2000) de Durban en Afrique du Sud, les pays africains attendent des mesures significatives de la part des groupes pharmaceutiques internationaux détenteurs des brevets des médicaments anti-sida et n'ont pas vu arriver grand chose de significatif. Pourtant, en mai 2000 cinq grands laboratoires (Boehringer Ingelheim, Bristol-Myers Squibb, Glaxo Wellcome, Merck, Hoffmann La Roche) avaient décidé d'engager des négociations pour «améliorer la distribution des soins et des traitements liés au VIH/sida», donc en langage décodé pour réduire les prix des molécules de manière significative. Mais jusqu'à présent, seuls trois pays africains ont accepté la proposition d'acheter des médicaments fabriqués par les grands laboratoires avec une réduction d'environ 80 % par rapport au prix normal : le Sénégal, l'Ouganda et le Rwanda. Ailleurs, les gouvernements ont estimé que les réductions tarifaires proposées n'étaient pas à la mesure du problème auquel ils sont confrontés, qu'elles sont généralement ponctuelles et insuffisantes étant donné le prix de départ exorbitant notamment des trithérapies (de 15 à 20 000 dollars). L'Afrique du Sud, qui est avec 4,2 millions de personnes infectées le pays le plus touché par l'épidémie, est dans ce cas. Même si elle a accepté en décembre 2000, l'offre des laboratoires Pfizer de fournir pendant deux ans gratuitement du Flucanozole, un médicament qui traite certaines maladies opportunistes.

Profit contre vie humaine

Les grands laboratoires pharmaceutiques se trouvent actuellement dans une position délicate. Le procès qu'ils ont intenté à l'Etat sud-africain contribue à détériorer un peu plus leur image auprès d'une opinion publique internationale qui comprend de moins en moins bien comment des sociétés, qui font par ailleurs d'énormes profits, s'obstinent à refuser de fournir à bas prix des molécules qui permettraient de soigner des millions de malades du sida en Afrique. Et pire, pourquoi ils bloquent avec cette procédure depuis trois ans en Afrique du Sud, l'application d'une loi qui permettrait le recours aux médicaments génériques, copies des molécules sous brevet à prix réduit.

En effet, selon l'accord sur les droits de propriété intellectuelle (TRIPS) conclu dans le cadre de l'Organisation mondiale du commerce, il est possible en cas «d'urgence nationale» de passer outre le monopole des sociétés détentrices des brevets avant le terme du délai de vingt années qui les protège. Cette clause offre donc la possibilité aux pays pauvres frappés le plus durement par l'épidémie de fabriquer des copies de spécialités grâce au système des «licences obligatoires». C'est ce que font déjà le Brésil, l'Inde ou la Thaïlande. L'accord TRIPS permet aussi de recourir aux «importations parallèles» de ces médicaments génériques accessibles à moindre coût lorsque leur fabrication sur place n'est pas possible.

Le Brésil est le pays le plus avancé dans ce domaine. Il fabrique depuis plusieurs années des médicaments génériques. Cette situation lui a d'ailleurs valu une plainte, déposée début février, par le gouvernement américain devant l'OMC pour examiner la conformité de cette production avec les accords sur la propriété intellectuelle. Cette position du gouvernement américain qui se pose en défenseur des intérêts des laboratoires va à contre-courant de la tendance générale. En France, en Allemagne des membres du gouvernement ont appelé les firmes pharmaceutiques à retirer leur plainte contre le gouvernement sud-africain. L'Organisation mondiale de la Santé a aussi apporté son soutien à ce dernier pays parce que «les médicaments doivent arriver à toutes les personnes qui en ont besoin», a expliqué Gregory Hartl, porte-parole de l'organisation. Même du côté de la Banque mondiale, on estime que le coût des traitements «doit être appréhendé» par rapport au niveau de vie des populations.

La politique de l'intimidation qui a jusqu'ici dissuadé nombre de pays en développement d'importer des médicaments génériques pourrait être mise à mal par le procès en cours en Afrique du Sud. Déjà le Kenya a élaboré un projet de loi pour permettre d'y recourir sans tenir compte du risque de déclencher une nouvelle procédure de la part des firmes pharmaceutiques. La Côte d'Ivoire a, quant à elle, engagé des négociations avec une filiale du groupe Merck en vue d'acquérir des médicaments génériques. Les laboratoires brésiliens ou indiens fabricant de copies de spécialité comme Cipla, qui avait déjà proposé de fournir à Médecins sans frontière des trithérapies à 350 dollars par an et par patient, pourraient ainsi être de plus en plus sollicités.





par Valérie  Gas

Article publié le 11/03/2001