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L''affaire Elf

Sirven parlera, mais plus tard

Après avoir réitéré son refus de répondre aux questions, l'ancien n°2 d'Elf, 74 ans, a quitté le tribunal correctionnel de Paris, mardi 13 mars, pour retourner en prison. Il affirme qu'il s'expliquera sur la vente des frégates à Taiwan, un volet essentiel de l'affaire toujours à l'instruction. Il ne se présentera plus au procès. Celui-ci s'est brièvement poursuivi mercredi et reprendra lundi 19 mars.
«Dans ces conditions, j'estime que je ne peux pas m'exprimer. Mais j'ai l'intention de le faire aussitôt que les conditions seront réunies», a déclaré Alfred Sirven, peu après que le tribunal eut refusé sa demande de repousser le procès jusqu'à la fin de l'instruction de l'affaire des frégates. Alfred Sirven a alors quitté l'audience pour retourner, sous escorte policière, dans sa cellule de la prison de la Santé, où il est incarcéré.

La logique de l'ancien directeur des affaires générales d'Elf est la suivante: l'affaire des 64,5 millions de francs consentis frauduleusement par Elf à Christine Deviers-Joncour, pour laquelle il comparaît aujourd'hui, n'est qu'un «épiphénomène». Elle est «indissolublement liée» à un autre volet de l'affaire, essentiel celui-là, la vente par Thomson de six frégates à Taiwan en 1991. M. Sirven aurait payé Christine Deviers-Joncour afin qu'elle fasse pression sur Roland Dumas, à l'époque ministre des Affaires étrangères et ami du président François Mitterrand, pour qu'il débloque la vente de ces navires de guerre par Thomson, entreprise nationale comme Elf.

Selon lui, sa stratégie de défense l'oblige à évoquer ce dossier, ce qui lui est interdit à l'audience tant que l'instruction n'en est pas terminée. D'où son refus de répondre au tribunal, ses avocats déclarant, à propos de ce procès pour abus de biens sociaux, qu'il s'agissait d'un «traquenard judiciaire», et qu'il n'avait pas «l'intention de tomber dans ce piège». «Il parlera à l'instruction», a ajouté un de ses défenseurs, faisant référence aux autres volets de la tentaculaire affaire Elf, dont celui des frégates.

«Monsieur Sirven, vous risquez vous aussi cinq ans de prison»

Ce n'est pas la première fois que la défense d'Alfred Sirven dénonce le «saucissonnage» de l'affaire. Ce découpage judiciaire est du aux juges Eva Joly et Laurence Vichnievski, qui ont mis de côté le dossier des frégates pour ne pas qu'on leur retire l'affaire Roland Dumas au profit de la Cour de Justice de la République. Celle-ci est seule compétente pour juger les crimes et délits commis par les ministres «dans l'exercice de leurs fonctions», ce qui serait le cas dans l'affaire des frégates, mais pas pour les crimes et délits commis «à l'occasion de leurs fonctions», ce qui serait le cas du recel d'abus de biens sociaux pour lequel Roland Dumas est jugé aujourd'hui.

Le silence de l'ancien n°2 du groupe pétrolier ne l'empêchera pas, en tout cas, d'être jugé. «Vous aussi monsieur Sirven, a rappelé le procureur juste avant que le prévenu ne quitte la salle, vous encourez une peine de cinq ans d'emprisonnement et de 2,5 millions de francs d'amende (à). Vos non réponses, j'en tiendrai compte de différentes manières et je considérerai que vous n'avez aucun élément sérieux à opposer aux charges retenues contre vous par l'accusation».

Après le départ de Sirven, la présidente Sophie Portier a entamé l'interrogatoire des autres prévenus, l'ex-ministre des Affaires étrangères Roland Dumas et son ancienne maîtresse Christine Deviers-Joncour, l'ancien PDG d'Elf Loïk Le Floch-Prigent, et André Tarallo, l'ancien patron Afrique de la compagnie pétrolière, afin qu'ils confirment leurs déclarations. L'audience a repris mercredi, avec l'interrogatoire de Philippe Hustache, l'ancien directeur financier du groupe. Le tribunal a clos rapidement les débats, qui avaient déjà été achevés en l'absence de Sirven et n'avaient été rouverts que pour l'entendre. Le procès reprendra lundi 19 mars, avec les plaidoiries des parties civiles et le réquisitoire du parquet.



par Philippe  Quillerier-Lesieur (avec AFP)

Article publié le 14/03/2001