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Balkans

Le Kosovo rêve de la «Grande Albanie»

Dans la province du Kosovo administrée par l'ONU, les Albanais expriment leur solidarité avec les Albanais de Macédoine au moment où les combats continuent d'opposer l'armée de Skopje et les rebelles séparatistes. Et certains évoquent à nouveau l'idée d'une «Grande Albanie» regroupant tous les Albanais des Balkans.
De notre correspondant dans les Balkans

Les routes menant à la Macédoine, d'habitude grouillantes de circulation, restent presque désertes depuis que les frontières de cette république sont fermées, et un calme étrange règne dans les villages du Kosovo situés auprès de la frontière. Les soldats américains de la KFOR ont établi un dernier poste sur les hauteurs du village de Debelde.

De l'autre côté de la vallée, survolée par des hélicoptères, des soldats macédoniens ont pris position dans un village qui était contrôlé, il y a encore quelques jours par les guérilleros albanais de l'UCK, mais du côté kosovar de la frontière, des bergers font tranquillement paître leurs brebis, dans un paysage idyllique de haute montagne.

Les combats sont pourtant tout proches, et les soldats internationaux ne semblent guère en mesure de contrôler cette frontière mal définie et d'accès difficile. C'est dans ces montagnes qu'un cameraman britannique a trouvé la mort jeudi matin.

En contrebas de Debelde, la foule des grands jours s'est rassemblée, mercredi après-midi, dans le gros bourg de Vitina pour assister a l'enterrement d'un commandant de l'UCPMB (la guérilla albanaise du sud de la Serbie) tué la veille au combat. «Nous menons une lutte de libération nationale, nous tous les Albanais des Balkans, au Kosovo, en Serbie, en Macédoine: il n'y a pas de différence entre nous», explique un commerçant qui a tiré son rideau en ce jour de deuil patriotique.

La «Grande Albanie»: personne n'en parle, tout le monde y pense

A Pristina, les intellectuels albanais les plus modérés eux-mêmes ont du mal a cacher leur désarroi. Le linguiste Rexhep Ismajli et l'écrivain Eqrem Basha sont de vieux amis, qui vivent depuis plus de trente ans à Pristina. Le premier est pourtant originaire de Presevo, dans le sud de la Serbie, le second de Dibar, en Macédoine. Rexhep Ismajli attend des nouvelles de sa soeur qui habitait toujours Presevo et qui vient de partir se réfugier à Skopje en Macédoine. «Pourquoi les forces internationales ont-elles donné carte blanche à l'Armée yougoslave dans le sud de la Serbie et aux forces macédoniennes? Comme toujours, ce seront les civils qui en feront les frais». Le retour de l'armée yougoslave dans la zone de sécurité? «Nous nous sentons assiégés, ici, au Kosovo, malgré la présence des soldats de la KFOR», n'hésitent pas à s'exclamer les deux hommes, qui se veulent partisans du dialogue et affirment rejeter la perspective de «Grande Albanie».

Sur la façade de la faculté de Pristina, une grande banderole tendue par les étudiants affirme pourtant: «Tirana, Pristina, Tetovo, Presevo: nous sommes là». Des rassemblements de soutien aux guérillas albanaises de Macédoine et du sud de la Serbie ont été organisées dans le chef-lieu du Kosovo, même si tous les partis politiques tiennent à se désolidariser de l'UCK de Macédoine. «Il est pourtant de plus en plus difficile de critiquer la "cause patriotique"», explique une journaliste de Pristina. «Tous les dirigeants du Kosovo ne rêvent plus que de grande Albanie, même s'ils savent bien qu'ils doivent veiller à surveiller leurs discours publics». Tout le monde spécule sur la nature des liens qui relient les différentes composantes du spectre nationaliste en Macédoine, au Kosovo et en Albanie elle-même. Rexhep Ismajli confie pourtant sa crainte qu'au bout du compte, ce ne soient les Albanais du Kosovo eux-mêmes qui ne fassent les frais des rêves de Grande Albanie.



par Jean-Arnault  Dérens

Article publié le 30/03/2001