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Sida

Que pèse l'Afrique face aux labos ?

Interlocuteurs obligés des gouvernements, les multinationales de l'industrie pharmaceutique disposent d'une puissance (politique et financière) supérieure à celle de la plupart des pays africains.
Combien pèsent les pays du Sud face aux groupes pharmaceutiques? La réponse est sans appel: presque rien. Si l'on prend en compte les cinq principales multinationales de l'industrie du médicament, leur valeur boursière cumulée est deux fois supérieure au produit national brut de l'ensemble des pays d'Afrique sub-saharienne.

A lui seul, le laboratoire Merck Sharp and Dohme réalise des bénéfices (6,9 milliards de dollars) équivalents au PIB (produit intérieur brut) de la République démocratique du Congo. Les profits de Pfizer (6,5 milliards de francs) pèsent autant que le PIB de l'Ethiopie et ceux de Bristol Myers Squibb atteignent le montant du PIB du Gabon.

Le déséquilibre, en terme de puissance financière, est donc flagrant. Cela permet d'évaluer plus justement les rapports de force lors des discussions entre les pays africains et les laboratoires qui fabriquent et commercialisent notamment les traitements anti-sida. De surcroît, il faut également savoir que l'Afrique ne représente qu'un marché «anecdotique» aux yeux des multinationales du médicament (1,3% des ventes mondiales).

Une mine d'or: les brevets

L'industrie pharmaceutique, qui est considérée comme l'une des plus rentables à l'heure actuelle, aux Etats-Unis (avec un taux de retour sur investissement deux fois supérieur à la moyenne des industries) pèse également très lourd dans les choix de l'administration américaine, à travers notamment l'Association des producteurs et chercheurs dans le domaine pharmaceutique (PhRMA), qui constitue un groupe de pression très influent.

Lors de la dernière élection présidentielle américaine, la PhRMA, a versé 25 millions de dollars dans la campagne électorale. Oubliant ses habituelles précautions, l'Association a mis presque tous ses £ufs dans le même panier en versant 70% de cette somme aux républicains de George W Bush. Un investissement qui n'a pas été inutile, puisque le nouveau président a intégré au sein de son équipe plusieurs membres de PhRMA. Le groupe de pression n'en oublie pas pour autant les démocrates puisque les 300 lobbyistes qu'il appointe au Congrès «s'occupent» aussi bien des sénateurs et représentants démocrates que républicains.

Les laboratoires disposent d'une force de frappe colossale lorsqu'il s'agit de faire prévaloir leur point de vue notamment en ce qui concerne la défense de la propriété intellectuelle. Bien que les industriels aient joué un rôle de premier plan au sein de l'Organisation mondiale du commerce dans la rédaction de l'accord Adpic (Accord sur les droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce, en anglais Trips), ils s'opposent aujourd'hui à l'invocation de cette clause pour permettre à l'Afrique du Sud d'avoir accès à des médicaments génériques ou au Brésil d'en produire.

Il faut dire que les brevets sont au c£ur du système économique qui régit l'industrie pharmaceutique. Ils garantissent pendant 20 ans l'exclusivité de l'exploitation d'un médicament à son inventeur. Si l'on écoute Jeff Trewitt, le porte-parole de phRMA : «Les brevets sont comme le sang qui irrigue l'innovation. Il en coûte environ 500 millions de dollars pour développer un nouveau médicament et l'abrogation arbitraire des brevets tuerait le système». Une prise de position qui ne correspond pas exactement à la réalité dans la mesure où nombre de découvertes en matière de médicaments ont été faites à l'issue de recherches financées sur fonds publics, y compris aux Etats-Unis où la découverte d'au moins six molécules utilisées dans le traitement du sida ont été mises au point lors de travaux financés par le National Institute of Health, un organisme public.



par Philippe  Couve

Article publié le 14/03/2001