Sida
«<i>Il faut faire jouer un mécanisme de compétition</i>»
Gaelle Krikorian, membre de la commission Nord/Sud de l'association Act Up, à Paris, très impliquée dans la lutte contre le sida, réagit sur l'abandon de la plainte déposée par 39 firmes pharmaceutiques contre le gouvernement sud-africain, qui bloquait depuis trois ans la mise en £uvre d'une loi permettant le recours aux médicaments génériques. Cette victoire importante au niveau symbolique ne représente pourtant pas, pour elle, la garantie d'un véritable changement de stratégie de la part des laboratoires.
RFI: Que pensez-vous du retrait de leur plainte contre le gouvernement sud-africain par les 39 firmes pharmaceutiques ? Cela dénote-t-il une véritable prise de conscience ou ont-elles cédé face à la pression populaire et médiatique ?
Gaelle Krikorian: Je ne pense pas que l'on puisse parler d'une quelconque prise de conscience de l'industrie pharmaceutique. On peut se féliciter d'un grand travail de mobilisation qui a d'abord été initié par le groupe sud-africain TAC (Treatment action campaign), qui a été relayé par différentes associations et activistes aussi bien en Europe qu'aux Etats-Unis, qui a ensuite été soutenu par le parlement européen, Nelson Mandela. C'était une reconnaissance publique que l'attaque des compagnies pharmaceutiques à l'encontre du gouvernement sud-africain n'avait pas lieu d'être. C'était une condamnation de cette attitude. L'industrie n'avait pas d'autre choix que de se replier face à cette mobilisation.
RFI: Sur quoi ont porté les négociations entre le firmes et le gouvernement sud-africain qui ont abouti au retrait de cette plainte ?
G.K: On n'a aucune information là-dessus. Il y a eu récemment une intervention de la ministre de la Santé sud-africaine indiquant qu'il n'y avait pas eu de contrepartie. Mais pour l'instant, nous n'en avons pas l'assurance. Nous ne sommes pas terriblement optimiste car le scénario qui se joue avec les compagnies pharmaceutiques ces dernières années est à peu près toujours le même : quand on a un revirement, c'est parce qu'il y a eu des pressions et une mobilisation de l'opinion publique. Mais le changement de position se fait avec des négociations opaques et systématiquement des contreparties. Ce serait bien la première fois qu'il n'y en aurait pas. D'un autre côté, la mobilisation de l'opinion avait pour but de dire que l'attaque de l'industrie n'était pas fondée, que la loi sud-africaine répondait aux exigences de l'Organisation mondiale du Commerce. A ce moment là, on voit mal ce que l'on pourrait négocier.
«Les laboratoires n'ont pas agi spontanément»
RFI: Va-t-on pouvoir accéder rapidement en Afrique du Sud à des traitements à très bas prix ou aux médicaments génériques ?
G.K: C'est une seconde interrogation. Ce retrait de la plainte a une forte charge symbolique. En même temps, du point de vue sud-africain tant qu'il n'y aura pas une position claire du gouvernement pour favoriser l'accès aux traitements, on n'avancera pas. Il faut voir de quelle façon cela évolue dans les semaines à venir. La mobilisation autour du procès est aussi une façon de pousser le gouvernement sud-africain à bouger donc on espère que c'est ce qu'il va faire. En terme de prix des médicaments, le problème en Afrique du Sud est le même que dans le reste des pays d'Afrique ou d'autres pays en développement, les prix qui sont affichés en ce moment par les laboratoires qui sont de notre côté ou certains «génériqueurs» ne sont de toute façon pas suffisamment bas. La seule façon d'obtenir des prix les plus proches des prix coûtants, ça sera de faire jouer un mécanisme de compétition. Et à l'heure actuelle, on n'a pas du côté des gouvernements ou des institutions internationales un vrai soutien de cette politique et des moyens mis en £uvre pour la réaliser.
Un des enjeux actuellement est de ne pas se satisfaire des prix affichés par les grandes compagnies. Ces dernières ont été très claires: leur engagement sur une éventuelle segmentation des prix est assorti de revendications très strictes en matière de propriété intellectuelle, de production locale sous licence obligatoire ou d'importation de médicaments génériques. De ce point de vue là, politiquement on n'a pas avancé. Les pays qui ont essayé d'importer des traitements ou qui ont eu des velléités de production ont fait face à une pression tellement forte qu'en général, ils y ont renoncé.
RFI: Va-t-on vers une multiplication des négociations au cas par cas ou vers un accord plus global ?
G.K: Nous espérons que la décision qui a été prise en Afrique du Sud aura des conséquences plus globales dans le sens où elle peut permettre quand même une de prise de conscience vis à vis de l'attitude des compagnies pharmaceutiques. Car ces dernières semaines, on a vu les laboratoires dresser une sorte de shopping list des pays africains dans lesquels ils ont concédé des réductions qui s'alignent sur les prix des génériqueurs. Mais cela ne va guère plus loin et cela ne concerne pas toute la palette thérapeutique. En réaction à ces annonces, on voit dans les institutions internationales se développer un discours assez perturbant sur le geste des compagnies, sur le fait qu'elles y mettent du leur. Nous sommes très inquiets de cette position vraiment naïve car si l'industrie a bougé dans certains pays, c'est qu'elle y a été obligé et que l'enjeu pour elle, c'est d'imposer les accords qu'elle propose en essayant d'éviter que les pays se débrouillent tout seul.
RFI: Est-ce une bonne solution que les firmes établissent un prix des médicaments au Nord et un autre au Sud ?
G.K: La seule solution pour avoir des prix bas au Sud, c'est d'avoir de la compétition. Tant qu'on garde un monopole d'une compagnie sur un produit, on s'en remet à sa bonne volonté pour concéder des prix bas. Elles n'ont jamais fait cela spontanément, je ne vois pas pourquoi elles commenceraient à le faire.
RFI: Pensez-vous que la décision qui a été prise en Afrique du Sud ouvre une brèche dans laquelle les fabricants de génériques en Inde ou au Brésil peuvent s'engouffrer ?
G. K: C'est un signe fort. Cela ne doit pas seulement encourager l'Inde et le Brésil mais les autres pays qui ont la capacité de production, à produire et ceux qui souhaitent importer, à importer. L'Afrique du Sud mais aussi le Maroc, l'Egypte.
RFI: L'abandon de la plainte contre le gouvernement sud-africain peut-elle dissiper les craintes des pays du Sud qui envisageaient de fabriquer des génériques ?
G.K: J'espère que cela va y contribuer. Mais nous n'en sommes pas persuadés car tout ce que l'on entend, les déclarations récentes de Kofi Annan, les positions de certains représentants d'institutions comme l'OMS ou l'OMC ne sont pas du tout claires sur le fait que les gens sont conscients d'avoir besoin de ces mécanismes de compétitionàNotre peur est de voir une fausse solution émerger, un deal entre les gens qui ont de l'argent et les compagnies pharmaceutiques pour se trouver satisfaits des récentes diminution de prix alors que l'on sait que ce n'est pas cela la solution durablement.
RFI: Qu'attendez-vous des prochains grands rendez-vous internationaux où l'accès aux médicaments anti-sida va être abordé ?
G.K: Une prise de position politique des gouvernements sur le fait que sans la mise en place d'un véritable système de compétition, on n'obtiendra pas les prix les plus bas pour les pays en développement et qu'on en a besoin, qu'il ne s'agit pas de passer à la sauvette un accord avec six compagnies pour estimer que l'on a réglé le problème. Nous attendons aussi des financements à la hauteur des besoins parce que l'engagement financier depuis quinze ans n'est absolument pas suffisant. Multiplier la production de médicaments au Sud, cela veut dire aussi du financement et du transfert de technologie.
Gaelle Krikorian: Je ne pense pas que l'on puisse parler d'une quelconque prise de conscience de l'industrie pharmaceutique. On peut se féliciter d'un grand travail de mobilisation qui a d'abord été initié par le groupe sud-africain TAC (Treatment action campaign), qui a été relayé par différentes associations et activistes aussi bien en Europe qu'aux Etats-Unis, qui a ensuite été soutenu par le parlement européen, Nelson Mandela. C'était une reconnaissance publique que l'attaque des compagnies pharmaceutiques à l'encontre du gouvernement sud-africain n'avait pas lieu d'être. C'était une condamnation de cette attitude. L'industrie n'avait pas d'autre choix que de se replier face à cette mobilisation.
RFI: Sur quoi ont porté les négociations entre le firmes et le gouvernement sud-africain qui ont abouti au retrait de cette plainte ?
G.K: On n'a aucune information là-dessus. Il y a eu récemment une intervention de la ministre de la Santé sud-africaine indiquant qu'il n'y avait pas eu de contrepartie. Mais pour l'instant, nous n'en avons pas l'assurance. Nous ne sommes pas terriblement optimiste car le scénario qui se joue avec les compagnies pharmaceutiques ces dernières années est à peu près toujours le même : quand on a un revirement, c'est parce qu'il y a eu des pressions et une mobilisation de l'opinion publique. Mais le changement de position se fait avec des négociations opaques et systématiquement des contreparties. Ce serait bien la première fois qu'il n'y en aurait pas. D'un autre côté, la mobilisation de l'opinion avait pour but de dire que l'attaque de l'industrie n'était pas fondée, que la loi sud-africaine répondait aux exigences de l'Organisation mondiale du Commerce. A ce moment là, on voit mal ce que l'on pourrait négocier.
«Les laboratoires n'ont pas agi spontanément»
RFI: Va-t-on pouvoir accéder rapidement en Afrique du Sud à des traitements à très bas prix ou aux médicaments génériques ?
G.K: C'est une seconde interrogation. Ce retrait de la plainte a une forte charge symbolique. En même temps, du point de vue sud-africain tant qu'il n'y aura pas une position claire du gouvernement pour favoriser l'accès aux traitements, on n'avancera pas. Il faut voir de quelle façon cela évolue dans les semaines à venir. La mobilisation autour du procès est aussi une façon de pousser le gouvernement sud-africain à bouger donc on espère que c'est ce qu'il va faire. En terme de prix des médicaments, le problème en Afrique du Sud est le même que dans le reste des pays d'Afrique ou d'autres pays en développement, les prix qui sont affichés en ce moment par les laboratoires qui sont de notre côté ou certains «génériqueurs» ne sont de toute façon pas suffisamment bas. La seule façon d'obtenir des prix les plus proches des prix coûtants, ça sera de faire jouer un mécanisme de compétition. Et à l'heure actuelle, on n'a pas du côté des gouvernements ou des institutions internationales un vrai soutien de cette politique et des moyens mis en £uvre pour la réaliser.
Un des enjeux actuellement est de ne pas se satisfaire des prix affichés par les grandes compagnies. Ces dernières ont été très claires: leur engagement sur une éventuelle segmentation des prix est assorti de revendications très strictes en matière de propriété intellectuelle, de production locale sous licence obligatoire ou d'importation de médicaments génériques. De ce point de vue là, politiquement on n'a pas avancé. Les pays qui ont essayé d'importer des traitements ou qui ont eu des velléités de production ont fait face à une pression tellement forte qu'en général, ils y ont renoncé.
RFI: Va-t-on vers une multiplication des négociations au cas par cas ou vers un accord plus global ?
G.K: Nous espérons que la décision qui a été prise en Afrique du Sud aura des conséquences plus globales dans le sens où elle peut permettre quand même une de prise de conscience vis à vis de l'attitude des compagnies pharmaceutiques. Car ces dernières semaines, on a vu les laboratoires dresser une sorte de shopping list des pays africains dans lesquels ils ont concédé des réductions qui s'alignent sur les prix des génériqueurs. Mais cela ne va guère plus loin et cela ne concerne pas toute la palette thérapeutique. En réaction à ces annonces, on voit dans les institutions internationales se développer un discours assez perturbant sur le geste des compagnies, sur le fait qu'elles y mettent du leur. Nous sommes très inquiets de cette position vraiment naïve car si l'industrie a bougé dans certains pays, c'est qu'elle y a été obligé et que l'enjeu pour elle, c'est d'imposer les accords qu'elle propose en essayant d'éviter que les pays se débrouillent tout seul.
RFI: Est-ce une bonne solution que les firmes établissent un prix des médicaments au Nord et un autre au Sud ?
G.K: La seule solution pour avoir des prix bas au Sud, c'est d'avoir de la compétition. Tant qu'on garde un monopole d'une compagnie sur un produit, on s'en remet à sa bonne volonté pour concéder des prix bas. Elles n'ont jamais fait cela spontanément, je ne vois pas pourquoi elles commenceraient à le faire.
RFI: Pensez-vous que la décision qui a été prise en Afrique du Sud ouvre une brèche dans laquelle les fabricants de génériques en Inde ou au Brésil peuvent s'engouffrer ?
G. K: C'est un signe fort. Cela ne doit pas seulement encourager l'Inde et le Brésil mais les autres pays qui ont la capacité de production, à produire et ceux qui souhaitent importer, à importer. L'Afrique du Sud mais aussi le Maroc, l'Egypte.
RFI: L'abandon de la plainte contre le gouvernement sud-africain peut-elle dissiper les craintes des pays du Sud qui envisageaient de fabriquer des génériques ?
G.K: J'espère que cela va y contribuer. Mais nous n'en sommes pas persuadés car tout ce que l'on entend, les déclarations récentes de Kofi Annan, les positions de certains représentants d'institutions comme l'OMS ou l'OMC ne sont pas du tout claires sur le fait que les gens sont conscients d'avoir besoin de ces mécanismes de compétitionàNotre peur est de voir une fausse solution émerger, un deal entre les gens qui ont de l'argent et les compagnies pharmaceutiques pour se trouver satisfaits des récentes diminution de prix alors que l'on sait que ce n'est pas cela la solution durablement.
RFI: Qu'attendez-vous des prochains grands rendez-vous internationaux où l'accès aux médicaments anti-sida va être abordé ?
G.K: Une prise de position politique des gouvernements sur le fait que sans la mise en place d'un véritable système de compétition, on n'obtiendra pas les prix les plus bas pour les pays en développement et qu'on en a besoin, qu'il ne s'agit pas de passer à la sauvette un accord avec six compagnies pour estimer que l'on a réglé le problème. Nous attendons aussi des financements à la hauteur des besoins parce que l'engagement financier depuis quinze ans n'est absolument pas suffisant. Multiplier la production de médicaments au Sud, cela veut dire aussi du financement et du transfert de technologie.
par Propos recueillis par Valérie Gas
Article publié le 20/04/2001