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Syrie

La prière de Kuneitra

Au cours de sa visite à Qounaitra dans le Golan, Jean-Paul II a prie pour «la paix en Terre sainte et dans le monde». L'étape la plus politique de son pèlerinage, qui apporte un soutien moral aux positions syriennes face à Israël. Autre moment fort du voyage du souverain pontife : sa visite à la mosquée des Omeyyade de Damas, l'une des plus vénérées de l'Islam. Pour la première fois, un pape a pénétré dans un lieu de culte musulman
De notre envoyé spécial en Syrie

Kuneitra, sur le plateau du Golan, offre le visage de la désolation. Des herbes folles ont envahi les amas de béton et de pierres qui, autrefois, constituaient des maisons. Lors de son retrait de la ville en 1974 a la suite d'un accord de désengagement, l'armée israélienne avait en effet détruit les habitations une par une au bulldozer ou à la dynamite. Aujourd'hui, rien n'a changé. Simplement, la station de surveillance israélienne bardées d'antenne surplombe désormais la ville anéantie. Car les autorités syriennes ont décidé de ne pas reconstruire Kuneitra, qui comptait alors environ 50 000 habitants, afin de conserver en l'état les séquelles de cette politique israélienne de la terre brûlée. «Nous voulons ainsi que les jeunes générations prennent conscience de la brutalité de l'agression d'Israël», explique Tomader Fateh, journaliste au Syria Times.

C'est donc dans une «ville-fantôme» que Jean-Paul II est venu prier, même si des milliers de Syriens sont venus a sa rencontre, arborant des drapeaux syriens et du Vatican. Sur les ruines d'une habitation, on pouvait lire une banderole : «Notre maison se trouvait ici. Les Israéliens l'ont détruite. Son jardin avec ses fleurs et ses arbres à soif.» Dans l'église orthodoxe de Kuneitra, complètement pillée, le pape s'est recueilli avant de lire une prière en faveur de «la paix en Terre Sainte et pour le monde» : «Nous te prions, Seigneur, pour les peuples du Moyen-Orient. Aide-les à abattre les murs d'hostilité et de division et a construire ensemble un monde de justice et de solidarité

Bénéfices politiques pour la Syrie

Cette visite à Kuneitra, qui a été effectuée à la demande des autorités syriennes, apporte une caution morale a Damas face a Israël. «Kuneitra est une ville symbolique qui se situe sur une ancienne ligne de front, explique Mgr Diego Causero, nonce apostolique dans la capitale syrienne, et le pape n'a émis aucune objection pour s'y rendre. L'idée étant que cette ville a été détruite par la guerre et les habitants ont du abandonner leurs maisons, et donc qu'une prière s'imposait.»

La Syrie peut d'ores et déjà tirer des bénéfices politiques de cette escale à Kuneitra de Jean-Paul II, et plus généralement de son pèlerinage en terre syrienne. Car des son arrivée a l'aéroport de Damas, le souverain pontife avait utilise des mots qui ont sonne agréablement aux oreilles des dirigeants syriens quand il a appelé au respect de la légalité internationale qui interdit l'acquisition de territoires par la force et consacre le droit des peuples a l'autodétermination. Damas n'en demandait pas plus.

En outre, le pèlerinage du pape, couvert par près de 600 journalistes, intervient quelques jours seulement après la publication par les Etats-Unis de la liste des Etats soutenant le terrorisme international, ou la Syrie figure en bonne place. Dans ces conditions, grâce a cette visite pontificale, le régime syrien a pu redorer son image et contrebalancer sa réputation sulfureuse en Occident et plus particulièrement a Washington.

D'autant plus que le pèlerinage de Jean-Paul II a aussi permis de mettre en lumière la convivialité des relations entre chrétiens et musulmans sur le sol syrien. Sur le plan religieux, sa visite a la mosquée des Omeyyades de Damas restera comme le moment fort de son pèlerinage. Jamais un pape n'avait en effet franchi les portes d'une mosquée. A cette occasion, Jean-Paul II en a profite pour condamner indirectement tous les intégrismes : «Je souhaite ardemment que les responsables religieux et les professeurs de religion, présentent nos deux importantes communautés religieuses comme des communautés engages dans un dialogue respectueux, et plus jamais comme des communautés en conflit», car a poursuivi le pape, «la violence (...) ne devrait jamais être considérée comme le fruit de convictions religieuses.» Concluant sa visite historique, il a signe le livre d'or de la mosquée des Omeyyades, inscrivant a jamais son nom au service du dialogue islamo-chrétien.



par Christian  Chesnot

Article publié le 07/05/2001