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Rwanda

De si respectables «génocidaires»

Le procès des quatre Rwandais accusés d'avoir participé au génocide de 1994, qui se tient en Belgique depuis le 17 avril, révèle les contradictions de prévenus drapés dans leur respectabilité. Mais il est aussi l'occasion d'examiner le rôle controversé de l'Eglise et, en filigrane, de certains milieux politiques belges dans le plus grand massacre planifié depuis la seconde guerre mondiale.
Le procès en cours depuis un peu plus de trois semaines devant la Cour d'assises de Bruxelles est-il seulement celui de quatre acteurs «ordinaires» des monstrueux événements d'avril à juillet 1994, au cours desquels 500 000 à 800 000 Tustis et Hutus «modérés» ont été massacrés ? Les prévenus ont beau être considérés comme des seconds couteaux, face aux «décideurs» que le Tribunal pénal international d'Arusha (Tanzanie) s'est donné pour tâche de juger, ce procès est aussi celui du génocide rwandais. Ne serait-ce que parce la personnalité des prévenus est particulièrement représentative du double visage qu'affichent fréquemment les acteurs ou les planificateurs du génocide.

Ancien enseignant de la respectable Université catholique de Louvain (UCL), Vincent Ntezimana a tout fait, depuis le début des auditions, pour se présenter comme un professeur au-dessus de tout soupçon. Défendu de surcroît par certains de ces pairs belges, il a nié en bloc avoir activement participé au génocide et avoir appelé à l'exclusion, voire à l'élimination des Tutsis, malgré les nombreux témoignages contraires.

Alphonse Higaniro, homme politique et industriel, a le même aplomb. Ancien patron de la manufacture d'allumettes de Butare, ville martyre où 100 000 à 300 000 personnes ont péri, il reconnaît avoir été proche, très proche, de l'ancien président Hutu Juvénal Habyarimana. Mais, assure-t-il, il n'a jamais recruté des Interhahamwe, les miliciens extrémistes hutus, ni joué un quelconque autre rôle dans les massacres. Les témoins déjà auditionnés, dont un jeune rescapé et un prêtre belge, le Père Delporte, ont toutefois révélé une face bien différente d'Alphonse Higanaro, présenté comme le «coffre-fort» des Interhahamwe.

Les deux religieuses nient en bloc

A en croire s£ur Gertrude (Consolata Mukangango) et s£ur Kizito (Julienne Mukabutera), deux religieuses du couvent de Sovu, près de Butare, les accusations qui pèsent sur elles sont tout aussi «absurdes». «Nous avons fait ce que nous avons pu, pas d'une manière ostentatoire mais dans la discrétion pour éviter le pire», a ainsi répondu s£ur Gertrude, le 4 mai, à ceux qui la soupçonnent d'avoir livré aux miliciens 5000 à 7000 personnes réfugiées au couvent dont elle était la mère supérieure. Elle n'aurait rien à voir non plus, de même que sa corélégionnaire, dans l'incendie d'un garage attenant, où 500 à 700 personnes périrent carbonisées, le 22 avril 1994. Les deux femmes, qui sont accusées d'avoir fourni l'essence ayant servi à brûler le garage, nient en bloc. Tout juste s£ur Gertrude admet-elle avoir «donné la clé à M. Rekeraho (le chef des miliciens) qui demandait de l'essence pour l'ambulance». Deux paysannes rescapées, entendue le 9 mai, proposent une toute autre version des faits. Ce jour-là, elles affirment avoir vu «s£ur Gertrude et s£ur Kizito qui transportaient chacune un petit bidon d'essence».

«Comment des religieuses pourraient-elles avoir commis de tels actes ?», répondent les membres du clergé belge qui ont jusqu'à maintenant pris leur défense. De même, comment un respectable universitaire comptant tant d' «amis» parmi les enseignants de l'Université catholique de Louvain pourrait-il avoir commis de tels actes ?

A travers le procès des quatre rwandais, c'est aussi la responsabilité de l'Eglise et de certains milieux politiques belges qui est en cause. Les liens entre une frange de l'ancienne coalition au pouvoir, notamment les socio-chrétiens, et l'ancien régime rwandais ont été largement évoqués ces dernières années, notamment à l'occasion des auditions d'une commission d'enquête parlementaire sur le Rwanda, fin 1997. «Le juge Vandermeersch (chargé de l'affaire des « quatre ») a énuméré les pressions exercées contre les religieuses de Sovu (qui ont témoigné contre les s£urs Gertrude et Kizito) pour qu'elles retirent leurs accusations», note Colette Braeckman dans le quotidien bruxellois Le Soir, qui couvre exhaustivement le procès. «Toutes les congrégations religieuses du pays prient pour l'acquittement de s£ur Gertrude et s£ur Marie Kizito», ajoute-t-elle. Devant la Commission d'enquête, le juge Vandermeersch avait également lâché qu'il se demandait «si certains ne souhaitaient pas que le procès n'aboutisse jamais». En clair, la tenue en Belgique d'un procès, dont les auditions sont loin d'être achevées, remue aussi un passé récent que certains responsables politiques de l'ancienne majorité et hommes d'église belges ne souhaitent certainement pas voir déballer dans un prétoire.



par Christophe  Champin

Article publié le 10/05/2001