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Comores

Un statut inédit pour Mayotte

La première île comorienne à devenir française en 1841, souhaite le rester. A Paris, le projet de loi adopté à l'assemblée nationale le 6 avril dernier vise à la transformer en une collectivité départementale. Un événement qui marque peut-être la fin du feuilleton sur le rapprochement possible avec la partie indépendante de l'Archipel.
C'est le premier ministre français Lionel Jospin qui a précisé le cap entrepris, lors de son dernier passage dans l'île le 27 janvier dernier. "La réponse que vous attendiez, c'est mon gouvernement qui vous l'apporte" a-t-il déclaré. Autrement dit, après le statut particulier de collectivité territoriale au sein de la république, Mayotte sera désormais une collectivité départementale. Un statut lui aussi inédit qui vise à renforcer les liens avec la Métropole. Avec en arrière-plan, cette demande expresse du député UDF Henri Jean-Baptiste de voir inscrit dans la loi la possibilité pour l'île d'opter pour le statut de département d'Outre-Mer en 2010. Autant dire que le scénario de la réconciliation possible et éventuelle entre les Mahorais et leurs cousins des autres îles de l'Archipel se complique.

Il est vrai que le Premier ministre a également mentionné l'idée d'un co-développement possible entre Mayotte et ses soeurs. Et qu'une équipe du patronat mahorais a pris des contacts récemment pour investir dans les Comores indépendantes (MEDEF Mayotte), avec la bénédiction de Paris. Mais la crainte d'un largage annoncé par la Métropole a bel et bien disparu des esprits. L'ironie du sort veut que ce soient les socialistes français qui aient introduit un recours au Conseil constitutionnel, le 13 décembre 1975, exigeant le rattachement de Mayotte à son ensemble naturel. Une question revenue à l'ordre du jour lors de la signature des accords de réconciliation nationale dans la partie indépendante, en février dernier, l'opposition ayant exigé comme préalable à sa participation aux pourparlers de paix qu'il soit réaffirmé dans les textes l'appartenance de Mayotte à l'Etat comorien (article 28, page 9 de l'accord-cadre de Fomboni). En réaction, Paris, principal bailleur de fond du pays et partie prenante dans la médiation, a demandé à son ambassadeur, Jean-Pierre Lajaunie, de ne pas apposer sa signature sur le document final. La décision française de garder Mayotte a toujours été contestée par Moroni, avec le soutien des Nations Unies au nom du principe d'indivisibilité des nations. Cette réaction n'a donc rien de nouveau.

«Un pseudo-développement un peu brutal»

On note cependant l'apparition dans l'opposition comorienne d'un discours affirmant ouvertement que "l'occupation de Mayotte par l'ancien colonisateur" se nourrit de l'instabilité permanente dans les îles soeurs. Une instabilité qui n'a pu, selon elle, se perpétuer durant ces vingt cinq dernières années "sans la bénédiction de la France". Mayotte a servi en outre de base arrière aux sécessionnistes anjouanais, avec l'aide notamment d'organisations française d'extrême droite. De là à accuser les socialistes de contribuer au délitement de l'Archipel, il n'y a qu'un pas. Certains journalistes vont même jusqu'à accuser le président Azali d'en être complice.

Des arguments qui n'ont pas l'air de convaincre les Mahorais de renouer avec leur passé. Certes, Mayotte a connu un "pseudo-développement, non accompagné, presque brutal", explique un enseignant, "où nous, les Français blancs formons une minorité de 'nantis', avec des privilèges qui ne sont partagés que par quelques mahorais bien placés politiquement". Certes, le revenu minimum ne dépasse pas les 2 500 FF, avec une hausse prévue de 5% cette année. Certes, l'économie locale est complètement assistée, d'autant plus que les cultures de rente produites traditionnellement comme l'Ylang-Ylang ne rapportent "plus beaucoup". Certes encore, il y a 25% de chômage, avec 10% seulement de jeunes scolarisés qui arrivent au bac et plus de 70% de la population qui ne maîtrise pas le français. "Mais cela vaut mieux", répondent les Mahorais, "comparés à la misère des îles soeurs".

Et si Mayotte ne persistait dans son choix que par intérêt? Les Comoriens qui débarquent sur l'île régulièrement pour tenter leur chance lui donnent raison sur ce point. A Mayotte, dit-on, un ouvrier peut gagner le triple du salaire moyen d'un fonctionnaire à Moroni. En réalité, ceux qui font le voyage représentent une main d'£uvre bon marché que les entreprises privées préfèrent aux "Mahorais de souche", parce que "facilement manipulable". Au moindre problème, on les menace d'une expulsion. Les refoulements de Comoriens se multiplient. Intimidations, campagnes de haine ou encore violence entretenue par certain milieux politiques contre "les voleurs de travail", et ce, au mépris du droit. Une manifestation a eu lieu récemment pour dénoncer ces pratiques, qui ont causé la mort de nombreux innocents . Ces organisateurs, les Verts de Mayotte, l'Association de Défense des Droits de l'Homme et le GRDC, ont interpellé Lionel Jospin sur ces problèmes lors de son voyage dans l'île. En vain.



par Soeuf  Elbadawi

Article publié le 12/05/2001