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Proche-Orient

Sharon rattrapé par Sabra et Chatila

Vingt-trois personnes ont déposé une plainte avec constitution de partie civile auprès du parquet de Bruxelles, contre plusieurs responsables israéliens et libanais, dont Ariel Sharon, le Premier ministre d'Israël. Celui-ci est accusé d'être l'un des responsables des massacres de Sabra et Chatila en 1982, où près d'un millier de civils ont péri. Après le procès de quatre Rwandais accusés d'avoir participé au génocide dans leur pays, c'est la deuxième fois que la Belgique fait valoir la compétence universelle. Le point de vue de l'avocat William Bourdon.
RFI : Doit-on s'attendre aujourd'hui à voir défiler devant la cour d'Assises de Bruxelles des dirigeants en exercice ?
William Bourdon : Dans le cas du Rwanda, le verdict rendu par la cour d'assises de Bruxelles dans le procès est l'expression définitive du caractère légitime du mécanisme de compétence universelle. C'est-à-dire que tout le monde comprend que le fait que des responsables du génocide au Rwanda, ayant commis des crimes contre des Rwandais dans leur pays, soient jugés par des juges belges est quelque chose qui correspond, d'une part, à une obligation des différents pays de la communauté internationale d'éviter que le globe terrestre soit une terre d'asile pour les bourreaux ! D'autre part, il est également l'expression d'une justice effective, impartiale, légitime et que l'extraterritorialité de cette justice ne nuit pas à sa crédibilité et à sa légitimité. C'est très important parce que c'est le premier verdict rendu en Europe sur ce fondement là.

RFI : Quelles sont les limites de la compétence universelle ?
WB : : Je ferais partie de ceux qui considèrent qu'il ne faut pas brûler nos vaisseaux, ni tuer la poule aux oeufs d'or encore moins donner d'arguments aux Etats pour adopter une attitude recroquevillée et dire «vous voyez bien, les mécanismes de compétence universelle aboutissent à une justice de cow boy où tout est possible, où demain n'importe qui pourra être jugé par n'importe qui dans n'importe quel pays ». Quand on constate immédiatement qu'après la plainte visant Sharon, le ministre des Affaires étrangères a fait une déclaration pour dire qu'il fallait soumettre au Parlement une loi restreignant ce mécanisme, on voit bien l'effet de bascule. Cet effet aurait-il eu lieu si ce n'avait pas été Sharon ? Une procédure contre Sharon est on ne peut plus politique. Et l'impunité dont il a bénéficié et dont il continue de bénéficier après les événements de Sabra et Chatila, pose des question très graves.

RFI : Comment résister aux pressions ?
WB : La meilleure réponse qui doit être apportée aux risques de dérive doit l'être par les juges eux-mêmes. On voit bien que les magistrats de Bruxelles n'ont pas multiplié les mandats internationaux alors qu'ils ont été saisis d'un nombre de plaintes considérables et qu'ils ont agi avec discernement. Les politiques seront nécessairement tentés de brider l'action des juges. Les différentes organisations de défenses des droits de l'homme doivent agir avec un grand sens des responsabilités pédagogiques vis-à-vis des victimes. Dans le cas Sharon, il y a deux questions qui restent : celle de l'immunité d'un Premier ministre en exercice et la deuxième est une question strictement politique. Dans le contexte actuel, horriblement compliqué du Proche Orient, il est de l'intérêt des Palestiniens que des poursuites contre Sharon soient engagées. Ce n'est pas moi qui vais répondre à cette question mais elle se pose.

RFI : Est-ce que la Cour d'Assises de Bruxelles n'est pas en train se substituer à la CPI, la Cour Pénale internationale ?
WB : Non, il faut pas raisonner comme ça. La France est en retrait par rapport à la Belgique. Le jugement de la Cour d'assises de Bruxelles rappelle que le jugement de la Cour pénale internationale n'est pas une panacée. Ca doit être un outil de protection et de dissuasion mais ça ne fait pas disparaître l'action des juges nationaux. La Belgique est en train de nous démontrer que la lutte contre l'impunité ne se réduira pas à la seule CPI.



par Propos recueillis par Sylvie  Berruet

Article publié le 19/06/2001