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Maroc

Après l'affaire Ben Barka, d'autres révélations ?

L'ancien agent des services secrets marocains qui vient de lever le voile sur la mort de Mehdi Ben Barka se dit prêt à témoigner devant la justice française mais aussi à rencontrer les familles d'autres «disparus» pour leur livrer ses souvenirs des années Hassan II et soulager sa mémoire.
De notre correspondante au Maroc

Les Marocains vont-ils enfin accéder à une des pages les plus sombres de leur histoire ? Vont-ils enfin découvrir les arcanes d'un appareil sécuritaire qui a terrorisé le pays pendant plus de trois décennies ? Vont-ils enfin connaître ce qu'il est advenu des dépouilles de centaines de personnes disparues sous le règne du roi Hassan II ? Les révélations publiées le week-end dernier par le quotidien français Le Monde et l'hebdomadaire marocain Le Journal sur l'affaire Ben Barka pourraient être un premier pas dans cette recherche de la vérité à laquelle se sont attelées depuis quelques années plusieurs associations marocaines de défense de droits de l'Homme.

Selon le témoignage d'Ahmed Boukhari, un ancien agent des services de renseignements marocains, le leader de la Tricontinentale a été torturé à mort par le général Mohamed Oufkir, alors ministre de l'intérieur du roi Hassan II et son adjoint le commandant Ahmed Dlimi dans une villa de la région parisienne. Son corps a ensuite été transféré par avion avec des complicités françaises à Dar El Mokri, l'un des centres de détentions et de tortures de la capitale marocaine, avant d'être dissout dans une cuve d'acide.

Ce témoignage sur un crime d'état très médiatisé en France et que le roi Hassan II n'a eu de cesse de qualifier d'affaire franco-française, n'est qu'une partie de ce que Ahmed Boukhari se déclare prêt à dévoiler. La justice française a déjà fait savoir qu'elle souhaitait entendre l'ancien agent secret marocain qui se cache actuellement dans un appartement à Casablanca.

Un témoin en danger

Si ce témoin capital dans de nombreuses affaires de violations de droits de l'Homme au Maroc n'a pour l'instant été à aucun moment inquiété par les autorités marocaines, le risque de représailles n'est cependant pas à écarter. Abderrahim Berrada et Abderrahim Jamai, deux avocats marocains connus pour leur engagement en faveur des droits de l'Homme ont à ce propos appelé trois ministres marocains à «assumer une obligation de sécurité» envers Ahmed Boukhari et les personnes citées dans son témoignage. Dans une lettre ouverte au Premier ministre, le socialiste Abderrahmane Youssoufi, et aux ministres de la Justice et de l'Intérieur, les deux avocats affirment que ces personnes sont «désormais en danger de liquidation physique par ceux qui au sein des services spéciaux marocains, notamment, ont intérêt à ce qu'elles ne soient jamais entendues par la justice».

Si les révélations sur l'affaire Ben Barka ont été publiées au Maroc sans que la censure n'intervienne c'est sans doute en partie parce que les principaux commanditaires de ce crime d'Etat sont aujourd'hui décédés et ne peuvent plus rendre de comptes à personne. Or ce n'est pas le cas pour d'autres responsables impliqués dans la disparition et la torture de centaines de militants politiques de gauche dans les années 1960-80.

Sitôt publiées les informations sur l'affaire Ben Barka, plusieurs familles de disparus ont voulu joindre Ahmed Boukhari dans l'espoir de connaître enfin la vérité sur le sort de leurs proches. L'ancien agent secret s'est d'ores et déjà dit prêt à les rencontrer. Il semble là encore évident qu'il a des choses à révéler. Pourra-t-il le faire sans être cette fois-ci inquiété ? Rien n'est moins sûr. Plusieurs personnes impliquées dans les exactions commises durant le règne du roi Hassan II sont encore aux commandes de l'appareil sécuritaire marocain et n'ont aucun intérêt à voir resurgir un passé plus que trouble.

L'association marocaine de défense des droits humains (AMDH) qui avait osé demander il y a quelques mois la poursuite de plusieurs personnes encore actuellement en poste a été mise sous pression. Trente-six de ses militants en effet, dont ses principaux dirigeants ont été condamnés en première instance à trois mois de prison ferme sous prétexte qu'ils participaient à une manifestation interdite. Ce jour-là ils étaient descendus dans la rue pour célébrer l'anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l'Homme.



par A Rabat, Mounia  DAOUDI

Article publié le 03/07/2001