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Monnaie unique européenne

Les banques font payer l'euro

Jugeant beaucoup trop importants les frais prélevés sur les paiements transfrontaliers en euros, la Commission de Bruxelles prévoit d'obliger les banques à aligner leurs tarifs européens sur leurs tarifs nationaux, moins élevés. Les banquiers menacent de faire le contraire.
La bagarre s'annonce rude. D'un côté les banques qui, selon un récent rapport d'enquête européen, pratiquent des tarifs prohibitifs pour les paiements par carte et les virements entre pays de la zone euro. Pour un virement de 100 euros, les frais moyens s'élevaient en mars 2000 à 17,36 euros (jusquµà 31,04 euros au Portugal). Et une étude plus large, à paraître en septembre, révèle des prélèvements de frais encore plus élevés. De l'autre côté, la Commission européenne, qui voit d'un très mauvais £il l'anéantissement d'un des avantages tant célébrés de l'euro. Entre les deux, les consommateurs, touristes, entreprises, et autres hommes d'affaires européens qui se demandent si pour profiter de la monnaie unique, ils devront se promener à travers l'Europe avec des valises de billets.

«La patience de la Commission européenne est épuisée, avertit Frits Blokenstein, le commissaire chargé du marché intérieur. Il est temps que les banques tiennent leurs promesses». Depuis dix ans, la Commission de Bruxelles tente, vainement, de convaincre les banquiers d'investir et de se concerter pour alléger les coûts des virements entre pays de la zone euro. Aussi vient-elle de proposer un règlement qu'elle soumettra prochainement au Parlement européen et au Conseil des ministres. Si, comme c'est probable, le texte est adopté, il obligera les banques à baisser leurs tarifs européens pour les aligner sur les tarifs nationaux. Dès le 1er janvier 2002 (date du passage à l'euro fiduciaire), elles devront le faire pour les paiements par carte et les retraits aux distributeurs automatiques de billets. Elles auront jusqu'au 1er janvier 2003 pour les virements et les chèques en euro.

A quoi bon un marché et une monnaie uniques ?»

Les associations européennes de consommateurs applaudissent. Le Bureau européen des unions de consommateurs (BEUC) explique que «dans la zone euro, le concept de frais transfrontières est complètement dépassé (à) A quoi bon alors un marché unique et une monnaie unique ?». Les banques, en revanche, n'ont pas tardé à répliquer. D'abord sur le terrain du droit. La Fédération bancaire européenne (FBE) a envoyé un courrier au président de la Commission, Romano Prodi, pour lui rappeler que dans une Europe libérale, une «régulation des prix ne repose sur aucune base légale des traités de l'Union européenne».

Ensuite sur le plan économique. Le directeur général de l'Association française des établissements de crédit, Pierre Simon, prévient que cette disposition «risque d'entraîner une hausse des tarifs nationaux pour compenser» le manque à gagner et «éviter la vente à perte». Autrement dit, ce ne sont plus les consommateurs européens qui en pâtiraient, mais les consommateurs nationaux, infiniment plus nombreux, et à la capacité de protestation sans commune mesureà

Pour ne pas avoir l'air de faire du chantage à la hausse des tarifs intérieurs, les banques soulignent qu'elles ont fait des efforts, en proposant notamment une harmonisation des frais et des prélèvements forfaitaires moins élevés sur les virements. Mais elles n'ont rien prévu pour réduire la facturation des transactions transfrontalières par chèques et cartes bancaires. «L'approche réglementaire est une mauvaise approche, estime Pierre Simon.(à) Pour ce qui est de bâtir une Europe des moyens de paiement, on y travaille. Mais nous allons le faire dans quelques années».

La Commission, sachant quelle a les citoyens de la zone euro derrière elle, ira-t-elle jusqu'au bout ? Allons nous vers une bataille judiciaire devant les tribunaux européens ? Devant les risques d'une épreuve de force, Nicole Fontaine tente la conciliation. La présidente du Parlement européen, qui juge que le projet de règlement «devrait être adopté» par l'assemblée de Strasbourg, s'interroge néanmoins, concernant son application, sur le problème «des sanctions à l'encontre des banques qui ne le respecteraient pas». D'où son message à l'adresse des banquiers, qu'elle invite à adopter «un comportement de civisme européen». Sera-t-elle entendue ?



par Philippe  Quillerier-Lesieur

Article publié le 30/07/2001