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Centrafrique

«<i>La communauté internationale n'a pas tenu ses promesses</i>»

Le général malien Amadou Toumani Touré, représentant spécial de Kofi Annan en Centrafrique, a effectué une mission de trois semaines à Bangui. Il a rencontré Kofi Annan et doit rendre compte de ses travaux au Conseil de sécurité. Il exhorte la communauté internationale à ne pas "lâcher" la Centrafrique dont "dépend la stabilité de la sous-région".
RFI : Vous revenez tout juste de Bangui. Quelle est la situation sur place ?
Amadou Toumani Touré : Les choses vont mieux qu'il y a deux semaines : les effets collatéraux des opérations militaires, le déplacement massif de la population de Bangui, la peur, la suspicion... La situation se normalise, la vie parlementaire a repris bien que quelques députés soient absents. Le président de la république a accepté sur notre demande de rencontrer l'ensemble de la classe politique centrafricaine et du corps diplomatique consulaire pour faire le point.

Connait-on un peu mieux le bilan des émeutes qui ont suivi la tentative de putsh raté ?
ATT : Selon des sources gouvernementales, le nombre de déplacés s'élève à 88 765 personnes, et il y aurait eu 59 morts et 87 blessés. Mais notre mission s'est rendue sur place après les opérations. Nous ne pouvions pas vérifier si les chiffres étaient exacts.

Dans quelles conditions vivent les 12 000 réfugiés entassés dans la ville de Zongo ?
Je pense qu'il n'y en a pas autant que cela, les gens sont rentrés bien qu'il y ait une relative méfiance à Bangui mais qui s'estompe grâce aux mesures de sécurité prises par l'armée. J'ai visité à Bangui presque toutes les zones de combat, mais je ne me suis pas rendu à Zongo. J'avais demandé à y aller, bien que mon mandat ne l'implique pas, mais il fallait un visa. Aux dires de différentes sources que j'ai recoupées, il y a beaucoup moins de gens à Zongho qu'on ne le prétend.

Quel est votre message au Conseil de sécurité de l'ONU ?
Je voudrais dire à la communauté internationale, que malgré les efforts et les déceptions, la République centrafricaine ne mérite pas d'être lâchée. C'est d'abord un problème de pauvreté, qui a tendance à aller vers la misère. Or, la misère n'a d'autre issue que la mort. Ces gens sont dans une situation désespérée. 27 mois de retard de salaire. 8 trimestres de retard de pension. Un système éducatif, autrefois le plus performant de la région, aujourd'hui sans bourses. La Centrafrique est à la croisée des chemins. Sans aide de la communauté internationale, elle ne peut pas garantir sa sécurité interne, ni se sortir de ce marasme économique et financier.

Pourquoi faudrait-il continuer à aider ce pays en proie à une instabilité chronique?
Une paix durable ne peut se conclure en Afrique centrale sans la République centrafriquaine. Elle représente un peu le ventre moux de la sous-région. D'abord elle est frontalière de beaucoup de pays en crise : le sud Soudan, le sud Tchad, qui ne connait pas de crise ouverte mais qui panse quelques plaies, le Cameroun, sans trop de problèmes, le Congo, avec 1200 kilomètres de frontière commune dont une grande partie avec la zone de l'Equateur tenue par les forces de libération du Congo de Jean-Pierre Bemba. Qu'on le veuille ou non, une République centrafricaine déstabilisée va obligatoirement entraîner l'implosion du tout. C'est une sous-région surarmée, où les mouvements rebelles, au moins une vingtaine, vont et viennent au grès des alliances. C'est une sous-région qui connait également une vague de réfugiés très importante. Demain, si la paix s'établit, où iront tous ces apatrides ? Certainement dans le pays qui sera le maillon faible. Si la communauté internationale ne prend garde, la République centrafricaine sera ce maillon faible.

Concrètement, quelle forme devrait prendre cette aide ?
D'abord de l'aide humanitaire d'urgence, qui a commencé à arriver pour aider ces populations, car les combats ont entraîné des opérations de pillage systématique. L'aide peut aussi prendre la forme d'assistance. Il faut assainir les finances publiques et aider le pays à réorganiser son circuit financier, son budget. Et il manque des ressources humaines. Dans un deuxième temps, il ne faut pas s'en cacher, ces gens ont besoin d'argent. Ils ne peuvent pas à eux-seuls effacer ce passif.

Vous aviez déjà présidé au processus de réconciliation en 1996-97. C'est un retour à la case départ ?
C'est vrai, je suis venu au Conseil de sécurité il y a trois ans. La résolution 1136 du 6 novembre 1997 demandait au Secrétaire général de mettre en place un fond spécial qui devait être alimenté par les Etats membres pour venir en aide à la République centrafricaine. Cet engagement n'a pas reçu une application concrète. Il faut remarquer que la communauté internationale n'a pas fait autant qu'on le dit. Non. Sur le plan financier, il y a eu beaucoup de promesses non tenues.

Le président Ange Félix Patassé vous semble-t-il sincère dans son désir de réconciliation ?
Je le connais depuis longtemps, et nous avons pu tenir un langage clair. Nous n'avons pas manqué d'attirer son attention sur les exactions ou les dérapages constatés. Des instructions ont été données que nous avons surveillées pour que toute confusion et toute généralisation cesse dans un bref délais. Le régime a fait des efforts depuis 1997. Et je n'ai pas senti une mauvaise volonté manifeste de la part du président Patassé.


Le putsh manqué est-il né d'un mouvement représentatif de l'opinion ?
Etant moi-même ancien putschiste, je devrais connaître la psychologie du putsch, si je peux me permettre de plaisanter... A Bangui, la plupart des gens ont été surpris par ce putsch. Ils se sont demandé pourquoi maintenant, et de cette manière ? Mais je pense que certains se sont peut-être fondés sur des conditions sociales. Le pays, au dernier semestre 2000 a connu des difficultés, des manifestations, des problèmes de grève. Et même des journées de pays mort, ce que je n'avais jamais entendu auparavant.



par Propos recueillis par Philippe  Bolopion

Article publié le 07/07/2001