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Guerre d''Algérie

Des harkis veulent juger la France et l'Algérie

C'est pour «retrouver leur fierté» et «être enfin reconnus par l'histoire» que huit harkis ont porté plainte contre X ce jeudi 30 août auprès du Tribunal de grande instance de Paris pour «crimes contre l'humanité». Selon leur avocat, Me Philippe Reulet, ils veulent mettre en cause «le comportement des autorités françaises et algériennes» au lendemain des accords d'Evian, le 18 mars 1962, qui ont conduit à l'indépendance de l'Algérie.
«Nous avons été désarmés et abandonnés par la France dès le 19 mars. Elle nous a ainsi livrés aux mains du Front de libération national» (FLN), a déclaré l'un d'eux, Messaoud Belaid, qui a fait partie de ces Français musulmans d'origine algérienne engagés aux côtés de l'armée française pendant la guerre d'Algérie. Me Reulet, qui assiste le Comité national de liaison des harkis, a estimé à 150.000 le nombre de harkis assassinés : «les actes d'extermination perpétrés constituent par leur ampleur et le fait qu'ils aient été perpétrés pour des raisons politiques des crimes contre l'humanité», a-t-il ajouté.

Pour échapper aux représailles sanglantes du FLN, quelque 60.000 harkis et leurs familles ont réussi à quitter précipitamment l'Algérie et à se réfugier en France, en dépit des directives de l'administration française visant à éviter un exode massif de ces musulmans devenus du jour au lendemain «indésirables» en France et «collaborateurs» en Algérie. La plupart d'entre eux ont été cantonnés dans des camps insalubres, où ils ont vécu au ban de la société française.

Le mouroir de Villeneuve-sur-Lot

«C'était un mouroir dans lequel étaient envoyés les musulmans rapatriés d'Algérie jugés inaptes au travail» a raconté Ahmed Rafa, arrivé en 1966 dans l'un de ces camps entourés de barbelés, situé près de Villeneuve-sur-Lot (sud-ouest de la France). Près de 1.300 vieillards, invalides, veuves et leurs enfants ont longtemps vécu dans des baraquements datant des années trente, se partageant des toilettes situées à l'extérieur des logements ; ils n'avaient droit qu'à une douche par semaine moyennant 50 centimes. Seule une dizaine de personnes étaient autorisées à travailler à l'extérieur de ce camp. Les autres familles vivaient pour l'essentiel des aides de l'Etat français. «Je travaillais comme femme de ménage à l'école et dans les douches du camp pour 50 francs par mois» a raconté Jjili Rebhia, aujourd'hui âgée de 83 ans. «Cela s'appelle de l'esclavage. C'est pourquoi, moi aussi je souhaite porter plainte».
A partir du milieu des années 70 de nombreux fils de harkis se sont régulièrement révoltés contre ces conditions de vie, en entamant souvent des grèves de la faim, afin de sensibiliser l'opinion publique et surtout obtenir une reconnaissance officielle. Le 11 novembre 1999 plusieurs centaines d'entre eux se sont vus refuser le droit de déposer une gerbe symbolique à l'Arc de Triomphe, mais c'est en mai dernier qu'il ont subi ce qu'il appellent leur principale «humiliation», lorsque la polémique autour de la torture pratiquée par l'armée française et les déclarations du général Aussarresses, sans que les souffrances des harkis n'aient été une seule fois rappelées.

Au moment même où les huit harkis rendaient public leur dépôt de plainte, le gouvernement français a annoncé qu'une journée d'hommage national aux harkis sera organisée le mardi 25 septembre. Le secrétaire d'Etat aux Anciens combattants, Jan-Pierre Masseret, a rappelé également qu'un Mémorial à la mémoire des soldats tombés durant la guerre d'Algérie doit être érigé en 2002 quai Branly, à Paris. Il a aussi regretté la décision des huit harkis de déposer une plainte pour «crime contre l'humanité» : «tout responsable politique est conscient de la souffrance et des drames vécus par les harkis, victimes de l'histoire toujours tragique de la guerre», a-t-il déclaré.



par Elio  Comarin avec AFP

Article publié le 30/08/2001