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Centrafrique

Patassé empêtré dans l'affaire Démafouth

L'arrestation inattendue, dimanche dernier à Bangui, du ministre de la Défense, Jean-Jacques Démafouth continue d'empoisonner la vie politique centrafricaine et jette une lumière crue sur les pratiques autoritaires et les initiatives imprévisibles du président Ange-Félix Patassé, de plus en plus isolé sur la scène politique régionale.
Officiellement l'ancien avocat Jean-Jacques Démafouth serait soupçonné - si l'on croit une source banguissoise citée par l'Agence France Presse - d'être impliqué dans un «projet de coup d'Etat qui lui était propre», en marge de la tentative de putsch du 28 mai dernier. «Il s'est fait doubler par Kolingba», l'ancien président en fuite, a précisé cette source qui a requis l'anonymat. Il devait être entendu ce mardi 28 août par la commission nationale mixte chargée de faire la lumière sur le putsch, avant d'être formellement inculpé. Car, selon les investigations menées par cette commission, «un faisceau d'éléments à charge» a déjà été réuni à son encontre.

Le «trio mafieux» de Bangui qui inquiète les voisins

On reproche surtout à Démafouth «une passivité incompréhensible de l'armée» mais aussi «d'autres éléments (qui) accréditent la thèse qu'il y a eu des accointances entre MM. Délmafouth et Kolingba, sinon avant le coup, du moins pendant», toujours selon cette source officielle anonyme. D'autres responsables, comme le président de l'Assemblée nationale Luc Apollinaire Dondon-Konamabaye, avaient quant à eux mis en cause l'incapacité des services de renseignements à prévenir une action armée d'une grande envergure qui n'a été arrêtée qu'après l'intervention de forces étrangères : celle d'un petit contingent libyen arrivé par avion quelques heures à peine après le début du putsch, et surtout celle de l'armée du «rebelle» congolais Jean-Pierre Bemba, qui dirige le MLC.

Quant à l'armée centrafricaine, elle est apparue une fois de plus divisée, mais elle a aussi constamment manifesté son soutien au ministre de la défense, même si celui-ci n'est pas un militaire de carrière. Avocat de formation, Démafouth a été aux côtés de Patassé depuis 1982, au lendemain du putsch (raté) de Patassé lui-même et le début de son odyssée africaine. Démafouth s'était alors à lui réfugié en France, où il avait bénéficié de l'aide de la CIMADE. Il n'a regagné le Centrafrique qu'au lendemain de la victoire électorale de Patassé, pour devenir son conseiller juridique jusqu'en 1997.

Deux ans plus tard il a été appelé à diriger une armée minée par d'innombrables mutineries, et il avait su lui imposer, grâce aussi à la coopération militaire avec la France, une véritable réforme. Ceci a aussi permis Démafouth de devenir très populaire dans les casernes centrafricaines. Ainsi d'ailleurs que d'obtenir les félicitations constantes (voire les louanges dithyrambiques) du président Patassé.

C'est sans doute pour cela que Démafouth n'a apparemment pas été arrêté par des militaires centrafricains, mais - selon nos sources - par des commandos libyens qui n'ont toujours pas regagné Tripoli depuis le putsch raté de mai denier. Il a ensuite été remis à la Garde présidentielle, et serait actuellement détenu dans la capitale.

Démafouth a-t-il été victime de sa popularité au sen de l'armée ? Dans l'entourage d'Ange-Félix Patassé on se pose désormais beaucoup de questions sur le comportement pour le moins bizarre du président. Ses initiatives inquiètent de plus en plus les pays voisins, y compris le Gabon du président Bongo, en raison surtout du fait que Bangui est devenu ces dernières années la véritable plaque tournante de nombreux trafics illégaux impliquant toute l'Afrique centrale, et notamment deux pays clé : le Congo démocratique, en guerre depuis plus de dix ans, et l'Angola qui n'a jamais connu de véritable paix depuis son indépendance en 1975.

Patassé n'a jamais nié ses liens privilégiés avec deux «rebelles» qui ne manquent ni de moyens économiques ni d'appuis diplomatiques, surtout en Occident : le congolais Jean-Pierre Bemba (qui contrôle le nord-ouest de la RDC) et l'angolais Jonas Savimbi, qui dirige l'UNITA. Tous deux continuent d'exporter vers les marchés mondiaux de nombreux produits - et surtout leurs diamants - via Bangui, avec l'implication directe de la famille du président centrafricain. Le trio Patassé-Bemba-Savimbi et ses pratiques mafieuses ont fait récemment l'objet de nombreuses critiques de la part de l'Occident et de la plupart des pays de la région. Pour l'heure, seul Kadhafi reste solidement aux côtés de Patassé.



par Elio  Comarin

Article publié le 28/08/2001