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Sécurité alimentaire

Deux molécules pour combattre le prion

Après la description, par un journal anglais, de la rémission spectaculaire d'une patiente atteinte par la maladie de Creuzfeldt-Jakob, des chercheurs américains annoncent avoir découvert un possible traitement contre cette infection.
Au terme d'une décennie d'incertitudes angoissantes, deux informations concomitantes viennent apporter de timides lueurs d'espoir quant à un possible traitement de la maladie de Creuzfeldt-Jakob et de ses différentes formes. A Londres ce dimanche, un tabloïd commence par annoncer la rémission inédite d'une jeune femme vraisemblablement atteinte du nouveau variant de cette infection (nvMCJ), forme humaine de la maladie, incurable et mortelle, de la vache folle. Selon le Mail on Sunday, la jeune Britannique de 20 ans, que les médecins avaient, en juin, estimé condamnée à brève échéance, a subi un traitement expérimental administré par le professeur californien Stanley Prusiner. Le journal rapporte que la patiente Rachel Forber ne pouvait plus marcher, ni s'exprimer de façon cohérente, ni se nourrir. Après deux mois de traitement, elle peut désormais se déplacer et parler sans difficulté. Prix Nobel de médecine en 1997 pour avoir identifié le prion à l'origine de l'encéphalopathie spongiforme bovine (ESB, dite maladie de la vache folle), le professeur n'a pas dévoilé la nature de son traitement.

Mais dans les très sérieux comptes-rendus de l'académie des sciences américaines (PNAS) datés du mardi 14 août, Stanley Prusiner signe ensuite avec ses collaborateurs de l'université de Californie une publication retentissante. D'après ses recherches, deux médicaments déjà connus pourraient être efficaces dans le traitement de la variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob. Expérimentés in vitro sur des cellules de souris, ces deux médicaments, un neuroleptique et un antipaludéen, ont stoppé le processus d'infection des cellules nerveuses par le prion pathogène. L'un et l'autre font notamment partie des rares substances capables, comme le prion, de traverser la barrière séparant le sang de ces cellules. Des résultats substantiels et prometteurs, d'autant plus que l'ancienneté de ces deux molécules pourraient autoriser sans délai leur utilisation chez l'homme, tout risque de toxicité étant écarté.

«Extrêmement prudents»

C'est d'ailleurs ce que demandent les chercheurs, qui plaident pour une mise-en-place imminente d'essais tests cliniques pour déterminer si ces médicaments peuvent soigner des patients sur le point de mourir. «C'est un grand progrès par rapport aux résultats des cultures cellulaires humaines et nous ignorons si la réponse sera favorable chez l'homme. Mais les résultats que nous avons enregistré, sur un modèle cellulaire que nous considérons comme valable, rend cette piste intéressante à suivre immédiatement», explique Carsten Korth, responsable de l'étude. Selon l'équipe du Dr Prusiner, le traitement pourrait au pire stabiliser l'évolution de l'infection, et, au mieux, reconstituer les cellules atteintes. Le lien avec la révélation du tabloïd paraît d'autant plus pertinent ûet la coïncidence d'autant moins hasardeuse- que les scientifiques californiens indiquent qu'un protocole «compassionnel», traitement palliatif destiné aux malades en phase terminale, venait d'être administré par leurs soins à deux malades atteints de la MCJ.

Mais si cette annonce et la révélation du Mail on Sunday ont été jugées «encourageantes» par la communauté scientifique et les autorités britanniques, de nombreuses incertitudes -avivées par le secret scientifique- restent en suspens, et plusieurs questions sont soulevées. En premier lieu, il n'est pas scientifiquement établi que Rachel Forber soit atteinte du nouveau variant de la MCJ, un diagnostic infaillible dans ce domaine n'étant envisageable qu'après la mort des malades. Certains chercheurs se demandent par ailleurs comment une rémission est possible alors que des lésions irréversibles ont été occasionnées dans les cellules nerveuses. D'autres estiment délicat, à ce stade, de se prononcer sur un blocage du processus d'infection quand le rétablissement spectaculaire de la jeune patiente pourrait être dû au seul effet des neuroleptiques ûun effet qui ne pourrait résister en cas d'évolution du prion. Le passage d'une culture in vitro à une expérimentation humaine suscite également quelques inquiétudes. Spécialiste du prion, le Dr Jean-Philippe Deslys (Commissariat à l'Energie Atomique) souligne les «espoirs prématurés qui pourraient occasionner par la suite des désillusions aussi fortes» ; selon lui, «avant de parler de traitement miraculeux, il faut être extrêmement prudent. A ce jour aucune molécule n'a pu guérir un animal infecté expérimentalement».

Stanley Prusiner, amateur de mystère, entretient par ailleurs des relations étroites avec les laboratoires phamaceutiques. Le secret qui entoure soigneusement ces découvertes pourrait donc être lié à une autre prudence, celle qui précède un dépôt de brevet. Mais l'inconnue la plus immédiate reste la réaction des autorités britanniques concernant ce traitement expérimental, sur un territoire où la MCJ compte à ce jour 106 victimes, 7 étant encore en vie. Si elles acceptent d'y avoir recours sur les malades, les autorités lèveront un coin du voile sur ce qui est peut-être une découverte historique.



par Marie  Balas

Article publié le 15/08/2001