Rechercher

/ languages

Choisir langue
 

Liban

Hariri s'incline devant l'armée

Le gouvernement de Rafic Hariri a dû se résoudre à contre-coeur au vote d'un amendement exigé par le président Emile Lahoud et par l'armée pour légaliser a posteriori les arrestations de militants chrétiens anti-syriens opérées depuis le 5 août.
Une semaine après le début de la vague d'arrestations lancée par les services de renseignements parmi les militants chrétiens anti-syriens, les députés libanais ont voté, à l'initiative du président Emile Lahoud et en dépit des réticences du gouvernement de Rafic Hariri, un amendement qui avalise ces interpellations. Ce texte donne une couverture juridique aux agissements des militaires. Depuis une semaine, ces derniers ont arrêté plus de deux cents activistes, étudiants, ingénieurs, médecins ou avocats, accusés d'avoir cherché à mettre au point un plan de partage du Liban avec la complicité d'Israël. Ces arrestations ont provoqué un tollé dans le pays, où elles illustrent une nouvelle fois la marge de man£uvre limitée du gouvernement par rapport à l'armée.

Plusieurs ministres ont ainsi affirmé qu'ils n'avaient pas été tenus informés de ces interpellations. C'est notamment le cas du ministre de l'Information Ghazi Aridi, issu du groupe parlementaire du chef druze Joumblatt, qui a exprimé des réserves. Au terme d'une réunion de travail houleuse, jeudi dernier, le gouvernement a finalement publié un communiqué embarrassé dans lequel il «rend hommage au rôle joué par l'armée pour la garantie de la paix civile et la défense de la dignité de la patrie» mais tient à rappeler que le pouvoir exécutif lui appartient et que l'armée doit lui obéir.

La presse libanaise, qui avait largement dénoncé «le compromis bancal» auquel était parvenu le gouvernement, n'est pas la seule à s'interroger sur les dessous de ces arrestations : le patriarche maronite Nasrallah Sfeir n'a pas caché son scepticisme devant les arguments employés par les autorités pour les justifier : «comment veut-on que les gens croient qu'il y ait un complot visant à la partition du pays, alors que ceux qui en sont accusés ne l'ont pas mis à exécution alors qu'ils en avaient les armes et les moyens?», s'interrogeait-il ce dimanche. Dans le monde politique, certains parlementaires se sont également interrogés, comme Boutros Harb, chrétien maronite et député du Mont Liban. Interrogé par Toufik Benaïchouche, il estime que le Liban a tout intérêt à débattre de la présence syrienne sur son territoire.

Le dirigeant druze libanais, Walid Joumblatt, a lui aussi dénoncé cette vague d'arrestations dans un pays considéré comme l'un des plus libéraux de la région : «n'importe quel président au monde doit entendre des choses qui lui déplaisent». Il a même demandé le limogeage des responsables des arrestations. Selon lui, sa formation «n'acceptera pas de faire de la figuration dans un gouvernement qui ne peut pas contrôler les services de renseignements». Enfin, l'ordre des avocats de Beyrouth avait appelé à un mouvement de grève, à la fin de la semaine dernière, pour protester «contre les tentatives de porter atteinte aux lois et au régime démocratique».

«Aveux extorqués»

A l'étranger aussi, des réactions inquiètes se sont faites entendre : les Etats-Unis, par la voix de leur émissaire au Proche-Orient David Satterfield, ont opportunément rappelé leur attachement à la liberté d'expression et souligné qu'elle devait «être appliquée en pratique et pas seulement en théorie». Du côté des ONG, c'est Amnesty International qui est monté au créneau pour réclamer une libération immédiate de tous les militants appréhendés.

Si la grande majorité des deux cents personnes interpellées a été relâchée, environ 70 d'entre elles ont comparu devant les tribunaux et écopé de peine de prison allant de cinq à quarante-cinq jours. Elles appartiennent au parti chrétien des Forces libanaises, au Courant national libre (le parti du général Aoun, exilé à Paris) et au Parti national libéral. Ces trois formations sont interdites au Liban en raison de leurs activités anti-syriennes : en effet, elles font campagne pour obtenir le départ des quelque vingt mille militaires syriens stationnés dans le pays depuis 1976.

Les services de renseignements ont lancé une vaste campagne d'arrestations depuis dix jours, destinée, selon le ministre de l'Intérieur Elias Murr, à empêcher un projet de partition du pays. Le commandement de l'armée libanaise a affirmé que l'une des personnes arrêtées, Toufic Hindi, proche conseiller politique des FL, avait avoué avoir eu des contacts avec un responsable israélien. Cette personne lui aurait notamment demandé d'organiser une campagne anti-syrienne au Liban et l'aurait assuré du soutien d'Israël tant dans la presse que sur le terrain. Mais ces aveux, filmés et diffusés à la télévision libanaise n'ont eux aussi pas convaincu. Pour son avocat, «les aveux ont été extorqués».



par Nicolas  Sur

Article publié le 21/08/2001