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Timor-oriental

Elections : dernière étape avant l'indépendance

Après 24 ans de tutelle indonésienne et deux ans passés sous administration de l'ONU, la population du Timor élit ce jeudi sa première Assemblée constituante, avant l'indépendance. De nombreux défis attendent le futur Etat.
Jeudi, sept heures du matin (mercredi 22h00 TU) au Timor oriental. Les bureaux de vote s'ouvrent, et avec eux une journée inédite pour les Timorais. Après quatre siècles de colonisation portugaise et 24 années de tutelle indonésienne, la population participe aux premières élections démocratiques de son histoire. Invités à élire leur Assemblée Constituante, les 425 000 électeurs -sur 730 000 habitants- doivent choisir 88 représentants parmi une quinzaine de partis. L'Assemblée élue disposera alors de 90 jours pour rédiger et adopter la Constitution, acte fondateur d'un futur Etat démocratique.
La date du 30 août n'est pas anodine pour les habitants du Timor-Est. Il y a deux ans jour pour jour, ils avaient voté à près de 80% en faveur de leur indépendance. Le référendum avait déclenché de terribles violences, les milices pro-indonésiennes refusant, avec le soutien de l'armée, d'en reconnaître le résultat. Les exactions se sont soldées par plusieurs centaines de mort et l'afflux d'un tiers de la population vers le Timor occidental. Elles ont laissé un territoire exsangue, placé depuis lors sous administration de l'ONU et partiellement dépendant des ONG (organisations non gouvernementales).

Avec cette première élection, le Timor franchit une étape décisive vers son indépendance. A l'issue du scrutin, l'administrateur provisoire de l'ONU, Sergio Vieira de Mello, nommera un gouvernement provisoire élargi aux trois partis majoritaires. Ensuite, des élections présidentielles sont prévues en mai ou juin, ultime pas avant la proclamation du «Timor Lorosae» - du nom du futur Etat. Mais si le processus constitutionnel signe un événement historique, le suspens n'en semble pas moins rigoureusement absent. Les vainqueurs des deux élections, en effet, ne font aucun doute pour la population et les observateurs. Fer de lance des luttes pour la souveraineté depuis 1975, le Fretilin, Front Révolutionnaire pour l'Indépendance du Timor, jouit d'une aura légendaire sur tout le territoire. Ancien parti marxiste venant publiquement d'opter pour l'économie de marché, il représente la plus importante formation politique au Timor-Est. Les diverses estimations le donnent très largement majoritaire à l'Assemblée constituante.

Le futur président aurait voulu «cultiver des potirons»

Quant à Xanana Gusmao, le «Nelson Mandela d'Asie», il dispose d'un capital symbolique au moins égal à celui du parti donné gagnant. Amateur de photographie, poète et jardinier, cet ancien chef rebelle du Fretilin avait exprimé à plusieurs reprises -coquetterie ou sincérité ?- sa lassitude de la vie politique et son intention de s'en retirer. L'homme souhaitait, semblait-il, passer sans transition du maquis au jardinage, «cultiver, selon ses propres termes, des potirons et élever des animaux». Seulement «Xanana», qui a passé la moitié de sa vie les geôles indonésiennes, «est aussi populaire, au Timor, qu'un Che Guevara», explique Emmanuel Noyer. Responsable de programme pour le Comité d'Aide Médicale, une ONG française, il rentre d'une mission dans la province. «Il faut se promener dans la rue pour se faire une idée de ce qu'il représente. Tout le monde porte un tee-shirt à son effigie, les gens sont en effervescence lorsqu'on évoque son nom.». Sa popularité de leader historique l'ont imposé comme présidentiable : «il n'y a pas, parmi les potentiels candidats, d'autre stature telle que lui. En outre Gusmao ne tient pas un discours révolutionnaire, il reste assez consensuel, c'est un fédérateur». Impression confirmée par un autre vétéran de l'indépendance, José Ramos Horta : «la question, c'est que nous avons encore besoin de lui.». Candidat déclaré depuis samedi, Xanana Gusmao est donc pressenti comme le très probable futur premier Président du Timor Lorosae.

Cette perspective réjouit Sergio Vieira de Mello, qui s'est félicité d'une telle nouvelle. Mais tout le monde s'accorde à dire que le Timor oriental a un long chemin à accomplir avant de devenir une démocratie viable. Xanana Gusmao est le premier à évaluer la situation : le pays ne sera «libre» que lorsque «nous aurons, dit-il, libéré notre peuple de la maladie, de l'analphabétisme, de conditions de vie déplorables.». Plusieurs enjeux attendent le pays lorsque, progressivement, l'ONU (dont c'est la deuxième plus grande mission après la Sierra Leone) se retirera. Les importantes ressources de pétrole, selon l'universitaire Harold Crouch, représentent notamment une richesse à double tranchant : «la corruption est une menace bien présente, sans compter que si vous devenez dépendant du pétrôle, vous négligerez forcément les autres industries.». Pour Emmanuel Noyer, «un peuple qui a vécu plus de quatre siècle sous différentes tutelles, souvent douloureuses, peut difficilement s'improviser une vie politique irréprochable. Et ils ont du pétroleà Cela prendra donc du temps.».

Cependant les défis, abondants, n'occultent pas l'autre versant des élections : la campagne électorale, jugée «exemplaire» par M. Vieira de Mello, les consultations populaires réalisées avant le vote, la cohésion et l'engagement des Timorais dans cet événement, le succès honorable enfin de la mission de pacification des Nations Unies donnent aussi les raisons d'espérer dans cet Etat naissant.



par Marie  Balas

Article publié le 29/08/2001