Rechercher

/ languages

Choisir langue
 

Afghanistan

«<i>Une intervention américaine est vouée à l'échec</i>»

Entretien avec Gulbuddin Hekmatyar, ancien chef de guerre afghan au moment de l'invasion soviétique. Réfugié en Iran depuis l'arrivée au pouvoir des Taliban, il se dit prêt à se battre contre ses anciens alliés américains s'il le faut.
Gulbuddin Hekmatyar fait partie des Moudjahidine de la première heure. Il a combattu les Soviétiques depuis la prise du pouvoir par les communistes afghans. Devenu Premier ministre après le départ des Soviétiques, il a été chassé du pouvoir par les Taliban. Ce fondamentaliste musulman a été longtemps soutenu par la CIA. Il n'a jamais rompu ses liens avec Oussama Ben Laden. Chassé du pouvoir, il s'est réfugié en Iran depuis le milieu des années 90. Mais contrairement aux forces de l'opposition, qui soutiennent une attaque américaine contre les Taliban, il veut aller combattre les Américains. Sans doute, son origine pachtoune ûcomme les Talibanû explique cette position.


RFI: Les actions militaires contre l'Afghanistan devraient commencer prochainement. Selon vous que cherchent les Américains?
Gulbuddin Hekmatyar :
En effet, les Américains semblent déterminés à attaquer l'Afghanistan. Ils n'ont pas caché qu'ils ne voulaient pas seulement venger les attentats de New York et de Washington. Ils ont un plan beaucoup plus vaste. Washington veut remplacer le pouvoir des Taliban et les Américains n'ont pas caché qu'ils voulaient ramener au pouvoir l'ancien roi Zaher Shah. Pour les Américains, l'Afghanistan se trouve dans une position stratégique à cause notamment des réserves d'hydrocarbures d'Asie centrale. Il y a deux options. Soit, ils attaquent l'Afghanistan avec des missiles et des bombes -une telle opération n'atteindra pas ses objectifs-, soit ils envoient des forces terrestres pour contrôler plusieurs villes importantes comme Kaboul, Kandahar, Jalalabad et pour ramener Zaher Shah en Afghanistan. Dans ce cas, les forces américaines devront rester longtemps dans le pays. Mais une telle occupation est vouée à l'échec. Les Américains n'ont rien de plus que les Soviétiques et nous leur conseillons de ne pas faire cette erreur car l'Afghanistan sera un second Vietnam pour les Etats-Unis.

RFI: Si les attaques commencent, allez-vous rentrer en Afghanistan ?
G.H.:
Certainement. Il faut défendre notre pays. Il ne s'agit pas de collaborer avec les Taliban, mais nous défendrons notre pays. Nous conseillons aux Américains d'éviter une nouvelle guerre. Si les Américains veulent que l'Afghanistan ne soit plus un foyer de crise et de tension, il faut empêcher les interventions étrangères en Afghanistan. Ils devraient empêcher les autres pays, notamment le Pakistan, la Russie, l'Iran d'envoyer des armes en Afghanistan. Et vous verrez qu'en peu de temps, les Afghans réussiront à trouver une solution politique pour arrêter la guerre.

RFI: Les Taliban peuvent-ils résister à une attaque américaine. De quelles armes disposent-ils ?
G.H.:
Ce n'est pas la puissance militaire des Taliban qui compte. Les Afghans n'ont jamais accepté les interventions étrangères. Il suffit de regarder l'histoire. Le secret de la victoire des Afghans n'est pas les armes modernes. C'est la Kalachnikov et des armes légères. D'ailleurs, les Taliban ont distribué 300 000 armes ces derniers jours. Les Afghans ne se battront pas dans les villes, mais dans les montagnes. Les Américains doivent regarder de près l'expérience des Soviétiques.

RFI: Mais pourquoi se battraient-ils pour défendre le régime des Taliban qui est lui-même soutenu par le Pakistan, un pays étranger ? Depuis l'arrivée au pouvoir des Taliban, la situation de la population s'est détériorée. C'est pourquoi, de nombreux Afghans ont fui leur paysà
G.H.:
De toute façon, les Afghans sont contre toute intervention étrangère. Ils s'opposeront donc à une intervention étrangèreà

RFI: On dit que plus de 10 000 Arabes se battent aux côtés des Taliban et de Ben Laden à
G.H.:
C'est exagéré. Il y a des Arabes qui sont venus combattre les Soviétiques. Ils n'ont pas pu rentrer chez eux et donc sont restés en Afghanistan.

RFI: Vous êtes connu pour avoir été l'homme des Américains. Pourquoi aujourd'hui vous vous opposez à la politique de Washington ?
G.H.:
Ce n'est pas vrai. Les Américains ne nous ont jamais soutenus. Ils ont même créé les autres partis afghans contre nous. Les Taliban eux-mêmes ont été soutenus par les Américains contre nous et lorsque les Taliban ont pris Kaboul, les Américains ont exprimé leur satisfaction.

RFI: Pensez-vous que l'Iran acceptera de coopérer avec les Américains?
G.H.:
Je ne le pense pas. Les Iraniens doivent savoir que les Américains viennent dans la région pour rester. Ils veulent ramener au pouvoir l'ancien roi. S'ils réussissent, ils auront peut-être la même idée pour l'Iran. C'est pourquoi les Iraniens doivent éviter de collaborer avec les Américains.

RFI: Les forces de l'opposition ont affirmé qu'elles allaient collaborer avec les Américains. Qu'en pensez-vous ?
G.H.:
C'est une erreur politique. Les Afghans n'accepteront pas de se battre aux côtés des soldats américains. C'est peut-être les Russes qui ont conseillé aux forces de l'opposition de coopérer avec les Américains. Ce n'est pas parce que le Pakistan soutient les Taliban qu'il faut chercher l'appui des Russes ou des Américains. Les Taliban nous ont combattu, mais aujourd'hui nous allons mettre de côté tous nos différends avec eux et nous allons combattre l'ennemi commun.



par Propos recueillis par Siavosh  Ghazi à Téhéran

Article publié le 26/09/2001