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Algérie

La dérive sanglante de la concorde civile

Avec près de 200 morts depuis le mois d'août, l'Algérie rompt avec le terrorisme de basse intensité qui a caractérisé ces deux dernières années. La violence armée effectue un retour sanglant et spectaculaire dans les zones urbaines après avoir été cantonnée aux campagnes et aux régions montagneuses du centre, de l'ouest et de l'est algérien.
Cette brusque reprise a commencé, par un attentat à la bombe, vers la mi-août, à Jijel, chef lieu de wilaya (département) à plus de 400 km à l'est d'Alger. Puis, trois autres colis piégés y ont été désamorcés. Jijel n'avait jamais connu cela. Hormis de furtives actions des GIA dans les maquis, ce fief de l'ex-Armée Islamique du Salut dont les membres ont bénéficié d'une «grâce amnistiante» au nom de la concorde civile légitimée par référendum (16 septembre 1999), était censé être définitivement pacifié.

La lumière n'a pas été faite sur cette irruption du terrorisme à Jijel-ville qu'Alger renouait avec les attentats à la bombe. Première cible, la rue de Chartres qui traverse le marché populaire El Kama. C'est le souk par excellence fréquenté par les bas et modestes revenus dont beaucoup d'islamistes ou de sympathisants. Bilan : un mort, 34 blessés, dont deux personnes amputés des jambes. La presse locale a écrit que l'engin piégé était constitué de dynamite et des bris contondants divers.

Cette explosion criminelle non revendiquée a été suivie du dépôt d'une série d'engins piégés en plusieurs points (rues, marchés et établissements publics) de la capitale et de sa banlieue. Plusieurs ont été signalés par des coups de téléphone anonymes. Comme si l'on voulait semer un climat de panique et de psychose. Deux appels se sont avérés être de fausses alertes alors que cinq colis mortels ont été désamorcés par les artificiers dans les trois jours qui ont suivi l'explosion d'El Kama. Un d'entre eux placé dans un sac de sport, ostensiblement prés d'un rayon d'une surface commerciale, contenait «une pâte, un réveil et deux piles», révèle un des témoins. Il s'agirait donc de plastic, ce que les autorités n'ont pas confirmé.

Le maillage sécuritaire d'Alger battu en brèche

Depuis le début de cette subversion armée et de la riposte anti-subversive en 1992, les services de sécurité n'ont jamais été communicatifs, laissant libre cours, non seulement au sentiment de peur, mais surtout à toutes les spéculations. Ainsi en est-il de l'attentat meurtrier du bar-restaurant «Tennis-Club» au complexe touristique de Zeralda quelques jours après l'explosion criminelle du marché El Kama. Cinq personnes y ont été mitraillées, avant l'arrivée tardive des gendarmes postés en permanence, 300 m plus loin. La découverte sur une plage limitrophe d'un couple égorgé et sauvagement mutilé, peu de temps auparavant, a laissé croire à une opération de diversion d'un groupe islamiste armé. Des témoignages concordants établissent que les tueurs se sont dirigés vers une table précise, occupée par un groupe de commerçants, qu'ils ont copieusement arrosé avant de se replier en mitraillant les autres clients installés sur la terrasse du «Tennis-Club». L'hypothèse d'un règlement de comptes paraît très plausible.

En revanche, le massacre à la kalashnikov et à l'arme blanche de sept campeurs le 2 septembre dernier sur la plage de Oued Barkat, dans la région de Annaba à plus de 300 km à l'est de la capitale semble porter l'empreinte d'un groupe terroriste d'obédience islamiste. Les assaillants, une quinzaine en tenue de gendarmes, venaient des reliefs escarpés et très boisés qui surplombent la plage. Une fois leur forfait accompli, ils se sont fondus dans le massif montagneux réputé abriter des membres du Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC) du chef terroriste Hassan Hattab, présent dans plusieurs poches, à l'est, tout au long des monts de Bouira (Kabylie) à Tebessa, ville frontière de la Tunisie.

Cette escalade de la violence avait été précédée d'une série de faux barrages et de massacres dans l'ouest algérien (Médéa, Mascara...), imputés ceux-là aux GIA. S'il est probant que le GSPC et les GIA n'ont jamais cessé d'activer chacun de son coté, leur nuisance avait été jusque là contenue avec succès hors des centres urbains. Le retour du terrorisme dans les villes, notamment à Alger, suscite des interrogations. Il n'y a pas, pour l'immédiat, de sérieuse identification de la signature des nouveaux actes criminels qui y ont été perpétrés depuis la dernière semaine du mois d'août. Aujourd'hui, les Algériens savent que des crimes attribués aux GIA se sont révélés n'être que des actes crapuleux, sordides, souvent liés à des contentieux d'argent quand ce n'était pas du banditisme pur.

Mais quel que soit les auteurs, le maillage sécuritaire d'Alger, mis au point selon des sources informées avec le concours des Américains, se trouve maintenant battu en brèche. Le quotidien gouvernemental El Moudjahid appelle la population à «se remobiliser pour donner le coup de grâce à la bête immonde» tandis que l'ex-chef du gouvernement, actuel ministre de la justice Ahmed Ouyahia affirme: «on ne peut pas combattre le terrorisme sans l'implication de toutes les parties». Sans relever que le terrorisme a fait 2000 morts depuis l'arrivée d'Abdelaziz Bouteflika en avril 1999, le FLN accuse les adversaires de la réconciliation nationale.

L'échec de la concorde civile, politique mise en £uvre par le président Bouteflika, ne fait pas de doute pour le camp opposé à toute forme de compromis avec le radicalisme islamiste. Au nom de ce camp, l'ex-ministre de la défense Khaled Nezzar a appelé, le 24 août dernier, à la mobilisation pour faire barrage à un retour du Front islamique du salut. C'est juste après cette sortie médiatique que les poseurs de bombes se sont remanifestés dans Alger. La rue meurtrie, sinon lasse, de ces interminables tueries, ne croit plus au discours officiel. Elle désigne le pouvoir. «Qui voulez-vous que ce soit ? Chaque fois qu'il y a de sérieux différends au sein du pouvoir, c'est le peuple qui paie», dit un fonctionnaire algérois en retraite. Avec l'affaiblissement de l'Etat, l'agitation en Kabylie, le terrorisme, le banditisme et la corruption, l'homme de la rue et quelques opposants craignent que le pire soit à venir.



par Belkacem  Kolli

Article publié le 07/09/2001