Racisme
Crime et réparation
La réparation financière à propos de l'esclavage est bien la question qui fâche. Autant les Européens reconnaissent des torts dans la traite des Noirs, autant ils émettent des réserves à abonder dans le sens des Africains et des Afro-américains qui réclament des dédommagements financiers. Et pour éviter de braquer les uns et les autres, Jean-Philippe Omotoundé , historien d'origine guadeloupéenne et auteur de L'origine négro-africaine du savoir grec (éditions Menaibuc), et membre de l'Institut Cheikh Anta Diop de Paris, propose un encadrement des revendications mais qui restent tout de même pécuniaires.
RFI : La conférence mondiale sur le racisme achoppe sur la question de la réparation demandée par les pays africains victimes de la traite des noirs et de l'esclavage. La compensation financière réclamée vous paraît-elle légitime ?
Jean-philippe Omotoundé : Avant toute chose, il faut d'abord savoir de quoi on parle. Il y a une certaine hypocrisie et une grave ignorance qui font qu'on s'éloigne du problème de fond. Lorsqu'il y a une intention de repentance, ce sont des intellectuels et des humanistes qu'on délègue auprès des victimes pour transmettre un message de regret. Mais la France sur la voie de l'abolition de l'esclavage avait dépêché dans les Antilles Victor Schoelcher, un économiste et industriel. Et il a fait son travail. L'abolition de l'esclavage s'est fait sur fond de transactions financières. Et ça les gens ne le savent pas. La même démarche a été notée aux Etats-Unis. L'abolition de l'esclavage s'est faite en échange d'argent. Les propriétaires ont libéré leurs esclaves en échange d'argent. Il y a eu compensation financière. Donc il ne faut pas s'offusquer qu'on parle aujourd'hui de réparation et de compensation financières. Ce qui a été possible dans un sens peut l'être également dans l'autre.
RFI : Le crime contre l'humanité est reconnu officiellement, mais pourquoi selon vous la question de la réparation pose problème?
J-P O : Je n'ai jamais vu la communauté européenne et occidentale en général avoir aussi peur des noirs que pendant cette conférence de Durban. L'occident a peur d'une résolution qui pourrait lui lier les mains. Le ministre Suisse délégué auprès des organisations internationales reconnaît par exemple les ravages qui ont découlé de l'esclavage et du colonialisme, mais se garde bien d'aller sur le terrain des excuses publiques. Responsabilités morales Oui mais responsabilités économiques et financières Non. Le vrai problème se trouve dans les dédommagements auxquels les pays européens seraient tenus. Les sommes asrtronomiques évoquées les déroutent. Il faut savoir aussi que ce dédommagement créerait un précédent. Les Indiens dans les Amériques revendiqueraient des droits. Les aborigènes et tous les peuples ayant subi l'oppression européenne ne manqueraient pas non plus de se manifester. Le risque pour les Européens c'est de devoir répondre par la suite à des faits imputables à la colonisation.
RFI : Pensez-vous vraiment qu'on puisse monnayer des vies humaines pour compenser des préjudices subits ?
J-P O : Non ! Il serait d µailleurs malsain de le faire. La vie humaine n'a pas de prix. Mais on peut évaluer le retard dans le développement. Les déséquilibres évidents entre certaines régions de ce monde ont des causes bien connues, et on sait aujourd'hui les évaluer.
RFI : Dans la traite des noirs les responsabilités ne sont-elles pas partagées entre acheteurs et vendeurs ?
J-P O : Non ! Il y a esclavage et esclavage. Partons de choses simples. Est-ce qu'en parfaite connaissance de cause, j'achèterais une voiture volée, à plus forte raison un enfant, une femme, ou un homme sous prétexte qu'on me le propose à l'achat ? N'oublions pas non plus que nous sommes dans des pays qui ont engendré des principes philosophiques très forts qui constituent encore aujourd'hui le fondement de leur société. Donc l'esclavage est une erreur en parfaite contradiction avec l'effort de pensée qui existait. L'argument de la responsabilité partagée ne tient pas la route. L'acte de vente n'était pas délibéré. Les conditions de la chose ont été créées.
RFI : Néanmoins, n'y avait-il pas aussi en Afrique un terrain fécond de hiérarchisation sociale et d'assujettissement de certaines populations qui naturellement alimentaient ce commerce ?
J-P O :On ne peut stigmatiser exclusivement sur l'Afrique un problème qui est humain pour se dédouaner. Il avait en effet des captures de guerre , des groupes sociaux inorganisés, soumis par d'autres nantis de structures sociales éprouvées, il avait aussi des castes, ce qui correspondait et souvent d'ailleurs à une répartition et à une hiérarchisation des professions; il y avait des servitudesàtout ceci est différent de l'esclavage et de la traite des Noirs.
RFI : Mais à qui profiterait aujourd'hui le crime ? Comment concrètement distribuera-t-on l'argent de la réparation ?
J-P O : C'est vrai que distribuer de l'argent ne servirait à rien. Le niveau de sous-développement serait toujours le même. Je suis contre un dédommagement individuel. En revanche je milite pour une réflexion collective. Il faut qu'une organisation internationale appropriée soit installée pour encadrer un développement concerté des pays africains. La situation des noirs issus de cet esclavage doit également être pris en compte.
Les relations humaines commerciales et industrielles entre les pays européens et les pays victimes de l'esclavage seraient les tâches exclusives de cette organisation. Elle travaillerait au rétablissement de la vérité historique à travers l'éducation et l'instruction, au rétablissement de certaines inégalités dans les Antilles et en Amérique par exemple pour une réforme agraire, pour une redistribution équitable des richesses, son rôle serait également d'étudier et de planifier la remise entière des dettes des pays africains, bref cette organisation devrait encadrer et organiser la réparation due aux victimes de ce crime contre l'humanité. Si réparation n'est pas faite ce serait bien la première fois qu'un crime reconnu et avoué resterait impuni.
Jean-philippe Omotoundé : Avant toute chose, il faut d'abord savoir de quoi on parle. Il y a une certaine hypocrisie et une grave ignorance qui font qu'on s'éloigne du problème de fond. Lorsqu'il y a une intention de repentance, ce sont des intellectuels et des humanistes qu'on délègue auprès des victimes pour transmettre un message de regret. Mais la France sur la voie de l'abolition de l'esclavage avait dépêché dans les Antilles Victor Schoelcher, un économiste et industriel. Et il a fait son travail. L'abolition de l'esclavage s'est fait sur fond de transactions financières. Et ça les gens ne le savent pas. La même démarche a été notée aux Etats-Unis. L'abolition de l'esclavage s'est faite en échange d'argent. Les propriétaires ont libéré leurs esclaves en échange d'argent. Il y a eu compensation financière. Donc il ne faut pas s'offusquer qu'on parle aujourd'hui de réparation et de compensation financières. Ce qui a été possible dans un sens peut l'être également dans l'autre.
RFI : Le crime contre l'humanité est reconnu officiellement, mais pourquoi selon vous la question de la réparation pose problème?
J-P O : Je n'ai jamais vu la communauté européenne et occidentale en général avoir aussi peur des noirs que pendant cette conférence de Durban. L'occident a peur d'une résolution qui pourrait lui lier les mains. Le ministre Suisse délégué auprès des organisations internationales reconnaît par exemple les ravages qui ont découlé de l'esclavage et du colonialisme, mais se garde bien d'aller sur le terrain des excuses publiques. Responsabilités morales Oui mais responsabilités économiques et financières Non. Le vrai problème se trouve dans les dédommagements auxquels les pays européens seraient tenus. Les sommes asrtronomiques évoquées les déroutent. Il faut savoir aussi que ce dédommagement créerait un précédent. Les Indiens dans les Amériques revendiqueraient des droits. Les aborigènes et tous les peuples ayant subi l'oppression européenne ne manqueraient pas non plus de se manifester. Le risque pour les Européens c'est de devoir répondre par la suite à des faits imputables à la colonisation.
RFI : Pensez-vous vraiment qu'on puisse monnayer des vies humaines pour compenser des préjudices subits ?
J-P O : Non ! Il serait d µailleurs malsain de le faire. La vie humaine n'a pas de prix. Mais on peut évaluer le retard dans le développement. Les déséquilibres évidents entre certaines régions de ce monde ont des causes bien connues, et on sait aujourd'hui les évaluer.
RFI : Dans la traite des noirs les responsabilités ne sont-elles pas partagées entre acheteurs et vendeurs ?
J-P O : Non ! Il y a esclavage et esclavage. Partons de choses simples. Est-ce qu'en parfaite connaissance de cause, j'achèterais une voiture volée, à plus forte raison un enfant, une femme, ou un homme sous prétexte qu'on me le propose à l'achat ? N'oublions pas non plus que nous sommes dans des pays qui ont engendré des principes philosophiques très forts qui constituent encore aujourd'hui le fondement de leur société. Donc l'esclavage est une erreur en parfaite contradiction avec l'effort de pensée qui existait. L'argument de la responsabilité partagée ne tient pas la route. L'acte de vente n'était pas délibéré. Les conditions de la chose ont été créées.
RFI : Néanmoins, n'y avait-il pas aussi en Afrique un terrain fécond de hiérarchisation sociale et d'assujettissement de certaines populations qui naturellement alimentaient ce commerce ?
J-P O :On ne peut stigmatiser exclusivement sur l'Afrique un problème qui est humain pour se dédouaner. Il avait en effet des captures de guerre , des groupes sociaux inorganisés, soumis par d'autres nantis de structures sociales éprouvées, il avait aussi des castes, ce qui correspondait et souvent d'ailleurs à une répartition et à une hiérarchisation des professions; il y avait des servitudesàtout ceci est différent de l'esclavage et de la traite des Noirs.
RFI : Mais à qui profiterait aujourd'hui le crime ? Comment concrètement distribuera-t-on l'argent de la réparation ?
J-P O : C'est vrai que distribuer de l'argent ne servirait à rien. Le niveau de sous-développement serait toujours le même. Je suis contre un dédommagement individuel. En revanche je milite pour une réflexion collective. Il faut qu'une organisation internationale appropriée soit installée pour encadrer un développement concerté des pays africains. La situation des noirs issus de cet esclavage doit également être pris en compte.
Les relations humaines commerciales et industrielles entre les pays européens et les pays victimes de l'esclavage seraient les tâches exclusives de cette organisation. Elle travaillerait au rétablissement de la vérité historique à travers l'éducation et l'instruction, au rétablissement de certaines inégalités dans les Antilles et en Amérique par exemple pour une réforme agraire, pour une redistribution équitable des richesses, son rôle serait également d'étudier et de planifier la remise entière des dettes des pays africains, bref cette organisation devrait encadrer et organiser la réparation due aux victimes de ce crime contre l'humanité. Si réparation n'est pas faite ce serait bien la première fois qu'un crime reconnu et avoué resterait impuni.
par Propos recueillis par Didier Samson
Article publié le 06/09/2001