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Balkans

Menace islamiste au Kosovo ?

Les islamistes du Kosovo, appuyés par des représentants de pays du Golfe, prennent prétexte de la rénovation des mosquées pour imposer des projets extérieurs à la tradition de l'islam balkanique.
De notre correspondant dans les Balkans

La mosquée Hagun Aga de Djakovica, dans l'ouest du Kosovo, se dresse au milieu d'un champ de ruines. Durant les bombardements de l'OTAN, au printemps 1999, les forces serbes ont abattu le minaret de cette édifice du XVe siècle, mais la bibliothèque islamique qui jouxtait la mosquée a été détruite en janvier 2000. Des organisations islamistes venues de pays du Golfe persique avait entrepris une vaste «rénovation» du complexe religieux. La mosquée Hagun Aga est en effet décorée de fresques qui n'évitent pas des thèmes figuratifs évoquant Istanbul. Sacrilège pour les tenants de l'islam wahhabite, pour qui les murs des édifices religieux doivent être uniformément blancs. L'administration locale de la Mission des Nations unies au Kosovo a réussi à bloquer ces projets de «rénovation» inspirés par une conception de l'islam tout à fait extérieure à la tradition balkanique, sauvant, au moins pour un temps, les quatorze mosquées de Djakovica, mais dans tout le Kosovo, des dizaines de mosquées ont déjà été détruites ou «rénovées» par des prosélytes venus du monde arabe.

Le vendredi, la grande prière de treize heures n'attire que quelques dizaines de fidèles à la mosquée Hagun Aga, mais la majorité d'entre eux sont des jeunes gens, qui professent sans complexes un islam modéré. Skender, vingt ans, étudie l'informatique. «J'essaie d'être un bon musulman, de prier cinq fois par jour, mais cela n'est pas toujours facile», reconnaît-il. «En tout cas, cela n'a rien à voir avec l'intégrisme. Nous condamnons tous les attentats de New York. L'islam albanais a toujours été libéral et modéré. Quand des islamistes venus du monde arabe ont voulu détruire notre mosquée, ce sont les simples citoyens qui s'y sont opposés». Le muezzin descend de la mosquée pour chanter les prières avec les fidèles. Agé de trente ans à peine, il porte un jean et présente des joues dépourvues de toute trace de barbe.

La barbe pour les hommes, le voile pour les femmes

Le tableau est un peu différent dans la petite ville de Vucitrn, à une trentaine de kilomètres de Pristina. Des jeunes gens portant ostensiblement la barbe des nouveaux convertis assistent aux cinq prières quotidiennes dans la mosquée du centre. «La barbe pour les hommes, le voile pour les femmes, ce sont les prescriptions de notre religion. Cela vaut mieux que la prostitution et l'immoralisme qui gangrènent le Kosovo», explique l'imam Ferhat Gërguri, président de la communauté musulmane locale.

A Vucitrn, l'influence islamiste est relayée par la présence du bataillon militaire des Emirats arabes unis. Les soldats émiriens ont rénové le parc de la ville, détruisant au passage les vieilles stèles funéraires qui s'y trouvaient, elles aussi interdites par leur conception rigoriste de l'islam. Rizah Bilalli, l'ancien directeur du lycée de la ville explique que l'armée des Emirats pratique un prosélytisme humanitaire, conditionnant l'aide au port de la barbe et du voile. Les Emiriens voulaient également rénover le lycée de la ville. Pour Rizah, il n'en était pas question, car «la religion ne doit pas pénétrer à l'école». Mais Rizah reconnaît l'un de ses anciens élèves parmi les jeunes barbus qui fréquentent la mosquée de Vucitrn, et le reconnaît : «si la situation économique du Kosovo ne s'améliore pas rapidement, l'islamisme fera de nouveaux adeptes». Dans l'immédiat, le patrimoine religieux du Kosovo continue d'être saccagé, malgré les protestations de principe des responsables de la communauté musulmane. Les dollars venus du monde arabe suffisent à faire taire tous les scrupules.



par Jean-Arnault  Dérens

Article publié le 01/10/2001