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Balkans

Le Sandjak tenté par l'intégrisme

Dans la petite région du Sandjak de Novi Pazar, au sud de la Serbie, une nouvelle génération de cadres religieux est en train de se former, bien loin de la tradition de tolérance de l'islam des Balkans.
De notre correspondant dans les Balkans

«Nous considérons Oussama Ben Laden comme un modèle pour les croyants. Il défend les musulmans à travers le monde. Les Talibans ne peuvent pas être vaincus par l'Occident. Même s'ils meurent, ils deviennent des martyrs de la foi». L'homme qui tient ces propos, l'imam Mensur, enseigne l'arabe à la madrasa, l'école coranique, de Novi Pazar, dans le sud de la Serbie. 120 garçons âgés de 15 à 20 ans suivent les cours de cette madrasa, réouverte en 1990. Tous se préparent à devenir imams, renforçant les cadres religieux d'une petite région où la foi musulmane constitue le principal référent identitaire de la population. Le Sandjak s'étire entre le Kosovo et la Bosnie. Selon les données incertaines et contestées du recensement de 1990, environ 600 000 personnes vivraient dans cette région partagée entre la Serbie et le Monténégro.

Le Sandjak compterait 60% de musulmans contre 40% de Serbes, mais la proportion des musulmans est probablement supérieure à 80% dans la ville de Novi Pazar. «Et 98% des policiers sont serbes !», s'indigne Ismail Dupjak, secrétaire général du Parti démocratique du Sandjak (SDP). Le SDP a fait le choix de la collaboration avec la nouvelle majorité démocratique serbe, mais selon Ismail Lupjak, les musulmans du Sandjak doivent toujours se contenter de promesses: «Les discriminations n'ont pas cessé, et le dossier de la décentralisation du pouvoir en Serbie reste au point mort». Dans ces conditions, rien d'étonnant à ce que l'extrémisme religieux trouve un terrain fertile.

Le fossé se creuse

Le grand mufti du Sandjak, Muamer Zurkolic, rejette pourtant le terme de «fondamentalisme»: «L'islam n'a qu'un seul visage. L'islam n'est pas une orientation philosophique ou morale, c'est d'abord et avant tout une règle de vie, qui doit diriger la vie matérielle, sociale, spirituelle et intellectuelle du croyant». Le Mufti reconnaît toutefois que l'application de la charia, de la loi musulmane, ne peut pas être à l'ordre du jour dans les Balkans, puisque les musulmans y sont minoritaires.

L'ancien mufti de la ville de Tuzla, en Bosnie, Muhamed Effendi Lugavic ne partage pas cette conception de l'islam. Pour lui, «le fondamentalisme n'est qu'un visage du primitivisme et de la négation de l'humanité. Au contraire, l'islam et le saint Coran associent toujours la foi à l'intelligence et à la rationalité. L'islam véritable n'est pas une règle de vie mais une source de vie. Les fondamentalistes ont aujourd'hui pris le contrôle de toutes les structures de l'islam en Bosnie, ne laissant aucune place pour une conception différente de l'islam, ni dans les mosquées, ni dans les structures d'enseignement». Un fossé sépare désormais la génération des imams formés à l'époque yougoslave, le plus souvent à l'université islamique de Sarajevo et dans les pays arabes socialistes amis du régime titistes, de la nouvelle génération des cadres religieux qui ont achevé leur formation en Arabie saoudite ou dans les pays du Golfe.

Muhamed Lugavic a été démis de ses fonctions l'an dernier, et la bataille est désormais ouverte pour le contrôle idéologique de l'islam des Balkans. Pour les wahabites, la première dimension du jihad consiste à transformer les musulmans en «vrais» croyants selon leur conception spécifique de l'islam. Muhamed Lugavic veut pourtant rester optimiste. Pour lui, «les musulmans des Balkans vivent depuis toujours au contact des catholiques et des orthodoxes. Nous n'avons pas d'autre choix que cette coexistence. L'islam des Balkans doit redevenir un modèle de tolérance pour tout le monde musulman».



par Jean-Arnault  Dérens

Article publié le 04/10/2001