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Mexique

Une militante des droits de l'homme assassinée

L'assassinat au Mexique de l'avocate Digna Ochoa y Placido, militante et protectrice des droits de l'homme, semble être le premier crime politique perpétré sous la présidence de Vincente Fox. Il annule les espoirs d'un Mexique qui espérait qu'avec son élection en juillet 2000, l'état de droit serait rétabli.
De notre correspondant au Mexique

Digna Ochoa, qui a été retrouvée morte dans son bureau de Mexico assassinée d'une balle dans la tête, faisait partie du petit monde qui accepte de mettre sa vie en jeu pour changer son pays et imposer plus de justice. Coordinatrice juridique du Centre jésuite des droits de l'homme «Miguel Augustin Pro», cette avocate de 37 ans, plutôt fragile, a eu le courage d'affronter le pouvoir.

C'est elle qui dénonce devant la Cour Interaméricaine des Droits de l'Homme le massacre de 17 paysans à Aguas Blancas, dans l'Etat du Guerrero, le 28 juin 1995. Un assassinat que la police et l'armée avaient monté pour éliminer des opposants. C'est encore elle qui a porté plainte pour les exécutions extra-judiciaires d'indigènes dans les villages du Morelos et du Veracruz.

En 1997, elle représente légalement les sympathisants zapatistes prisonniers au Chiapas. Les menaces de mort se répètent et augmentent en 1999 quand elle prend la défense des deux paysans écologistes : Arturo Montiel et Teodoro Cabrera, qui, sous la torture, ont avoué appartenir à la guérilla alors que leur seul crime était de défendre leurs forets contre une multinationale de la déforestation.

Obstinée, elle parvient à faire interroger par la justice les deux soldats tortionnaires mais elle doit peu après s'exiler aux Etats-Unis à cause de nouvelles menaces de mort, d'un enlèvement et d'une tentative d'assassinat. Digna avait repris son travail en avril dernier, persuadée qu'avec l'élection de Vicente Fox, elle ne craignait plus rien.

Condamnation unanime

Ce crime politique qui indigne le Mexique a aussitôt été condamné par les ONG, la société civile et les multiples associations des droits de l'homme tant nationales qu'internationales (Human Rights Watch, Robert F. Kennedy Center of Human Rights, Global Exchange, Greenpeace, A.I. etc.).

Aux Etats-Unis, le porte parole du Département d'Etat américain, Philip Reeker, a rappelé le parcours de cette femme exemplaire : «Mme Ochoa était connue et respectée dans le monde entier pour sa constance et son courage dans son entreprise à faire respect les droits de tous les Mexicains».

Mardi, depuis Genève, Mary Robinson, Haut Commissaire des Droits de l'Homme de l'ONU a souligné que «la meilleure manière de rendre hommage à la mémoire de Digna Ochoa est de garantir que c'est la dernière fois que ceux qui luttent pour les droits de l'homme, en particulier ses collègues du Centre Agustin Pro, se sentent menacés dans leur action en faveur de la société», ajoutant que «cet assassinat est tragique car il annule les espoirs naissants d'un pays qui cherche le rétablissement d'un état de droit et intimide tous ceux qui au péril de leur vie défendent les libertés».

Le président Vicente Fox est embarrassé par cet assassinat politique. Il venait, dans sa récente tournée en Europe, de souligner les progrès du gouvernement pour rétablir la démocratie au Mexique : dans un communiqué tardif, (3 jours après) il a déclaré que ce crime ne devait pas rester impuni : «les citoyens qui avaient en elle une valeureuse représentante de leurs droits perdent, comme perd l'état démocratique qui a besoin de voix indépendantes qui fassent valoir les libertés de tous les membres de la société».

Cet assassinat intervient au moment où l'opinion publique réclame au Président Fox de respecter sa promesse: faire de la justice sa priorité. Jusqu'alors il est resté indifférent et même négligeant face aux atteintes aux droits de l'homme dont il a hérité de l'administration antérieure. Quant à la justice, aucun progrès n'a été enregistré : les délits en cols blancs des fonctionnaires ou hommes d'affaire corrompus restent impunis.

En revanche, malgré les soutiens internationaux et ses promesses de campagne, ni les écologistes paysans, ni les généraux qui s'étaient révoltés contre l'injustice dans l'armée, ni les milliers d'indigènes jugés à la va vite, sans traducteur, n'ont pu faire valoir leurs droits.

Tous ces éléments peuvent faire douter de la liberté ou de la volonté d'action du président qui n'ayant pas véritablement imposé un changement de société se retrouve incapable de lutter contre les moeurs de l'ancien régime.



Article publié le 24/10/2001