Sierra Leone
Le difficile chemin vers la paix
Trois ans après l'arrivée des premiers casques bleus, la Sierra Leone tient pour la première fois une chance de parvenir à la paix, estime le dernier rapport de l'International Crisis Group. Mais le chemin qui reste à parcourir ressemble à une course d'obstacles.
Lorsque les rebelles sierra-léonais du Front révolutionnaire uni (RUF) ont pris en otage cinq cent casques bleus, en mai 1999, personne n'aurait osé parier sur la réussite de la Mission des Nations unies en Sierra Leone. Un peu plus de deux ans après ce qui fut perçu comme une nouvelle preuve de l'incapacité de l'ONU à régler les conflits, la communauté internationale affiche, pour la première fois, un «optimisme prudent», face aux perspectives de stabilisation après dix années de guerre.
Les 17.500 hommes du contingent des Nations Unies, censés s'interposer entre l'opposition armée et le camp gouvernemental, sont finalement parvenus à se déployer dans la plupart des régions, y compris Kailahun, l'un des principaux fiefs du RUF, proche du Liberia, où les premiers casques bleus sont entrés ce 25 octobre. Mieux, sur les 45.000 combattants recensés sur l'ensemble du territoire, environ 22.000 membres du RUF et des miliciens Kamajors, proches du pouvoir, ont accepté de participer à un Programme dit de Désarmement, de démobilisation et de réintégration (DDR), en clair de revenir à la vie civile. Enfin, l'accord de cessez-le-feu d'Abuja, signé à grand peine en novembre 2000, semble tenir, depuis mai dernier, malgré des incidents dans la région diamantifère de Kono, à l'Est du pays.
Risques de nouveaux affrontements
Ce petit pays d'Afrique de l'Ouest, serait-il enfin sur le point de tourner la page d'un conflit meurtrier ? «La Sierra Leone tient sa meilleure chance de parvenir à la paix depuis des années, mais la pression qui a permis d'arriver jusqu'ici doit être maintenue et même accentuée», tempère le dernier rapport de l'International Crisis Group, une organisation en pointe dans l'étude des conflits, basée à Bruxelles. Les progrès obtenus ces derniers mois tiennent effectivement à une conjonction d'efforts de la Grande Bretagne, qui maintient toujours des troupes dans son ancienne colonie, des Nations unies, de la Guinée et du camp gouvernemental. Avec pour double objectif commun de contraindre le RUF à respecter ses engagements et d'obliger son principal sponsor, le président libérien Charles Taylor, à interrompre son soutien.
Selon ICG, même accentués, ces efforts ne suffiront pas à éloigner durablement le spectre de nouveaux affrontements. Non seulement les combattants du RUF qui ont été désarmés n'en constituent pas le noyau dur, mais ils sont loin d'être les seuls fauteurs de guerre potentiels. «Dans les prochains mois, la principale menace pour la paix pourrait venir des deux autres principaux groupes armés. Les Kamajors [miliciens affiliés au pouvoir] et plus particulièrement l'armée sierra-léonaise ont bien plus de responsabilités dans les atrocités de la guerre que beaucoup ne l'imaginent à l'extérieur.»
De plus, la loyauté des militaires - dont nombre d'éléments ont été mêlés au putsch qui a mis temporairement fin au régime civil entre juin 1997 et février 1998 - à l'égard du président Ahmad Tejan Kabbah ne serait pas à toute épreuve, malgré les efforts des instructeurs britanniques chargés de leur encadrement. «La Force de défense civile [autre nom des Kamajors] et l'Armée sierra-léonaise doivent être transformées en un élément moins menaçant dont la loyauté vis-à-vis de l'Etat n'est plus contestable», estime l'organisation bruxelloise.
Or International Crisis Group s'inquiète du manque de moyens disponibles pour le programme de désarmement et de démobilisation. «Il faut dégager immédiatement davantage de fonds pour répondre aux attentes que la communauté internationale a elle-même créé». C'est effectivement, largement, en raison de la promesse d'un pécule et d'une aide au retour à une activité «civile», que beaucoup de combattants ont accepté de déposer les armes.
ICG insiste, en tous cas, sur la nécessité de neutraliser l'ensemble des groupes armés avant les élections de mai prochain. Sa principale crainte étant que la défaite éventuelle d'un RUF toujours partiellement armé relance les hostilités. Encore faudrait-il que l'organisation du vote lui-même ne fasse pas l'objet de contestation. Car la Commission électorale nationale (NEC) fait déjà l'objet de nombreuses critiques et d'accusations de corruption, d'où la suggestion d'une implication des Nations unies dans le processus.
Dans un contexte déjà difficile, le débat est, en outre, ouvert sur le jugement des auteurs d'exactions commises depuis 1996. Une Commission vérité et réconciliation, sur le modèle sud-africain, doit être mise en place, avec à la clé une amnistie pour ceux qui viendront avouer leurs méfaits. Mais c'est la création prochaine d'un tribunal international qui suscite des tensions. Composé de magistrats étrangers et sierra-léonais, il sera chargé de juger la trentaine de personnes considérées comme les commanditaires des crimes de guerre. Plusieurs responsables du RUF figurent déjà sur la liste, à commencer par leur leader Foday Sankoh, emprisonné à Freetown. Comme nombre d'observateurs, International Crisis Group estime que la mise en branle d'un tel processus, alors que le Front révolutionnaire uni n'a pas encore rendu les armes, pourrait pousser certains de ses membres à reprendre le maquis.
La situation politico-militaire de la Sierra Leone est d'autant plus complexe qu'elle est intimement liée à celle de ces deux voisins. La Guinée n'a jamais caché son soutien président Kabbah et appuierait les rebelles du mouvement Libérien unis pour la reconstruction et la démocratie (LURD) en lutte contre le régime de Charles Taylor. Ce dernier est lui-même le principal parrain du RUF, qu'il a quasiment créé et a financé grâce à la commercialisation des diamants, exploités en zone contrôlée par les rebelles sierra-léonais, et du bois libérien. C'est pourquoi, l'International Crisis Group estime que seule une gestion régionale de la crise par les Nations unies, avec désignation d'un envoyé spécial pour l'ensemble de cette zone, pourra apporter durablement la paix dans une zone fortement instable.
A lire : le rapport complet d'International Crisis Group sur la Sierra Leone
Voir le site d'International Crisis Group : http://www.intl-crisis-group.org/projects/project.cfm?subtypeid=16
Les 17.500 hommes du contingent des Nations Unies, censés s'interposer entre l'opposition armée et le camp gouvernemental, sont finalement parvenus à se déployer dans la plupart des régions, y compris Kailahun, l'un des principaux fiefs du RUF, proche du Liberia, où les premiers casques bleus sont entrés ce 25 octobre. Mieux, sur les 45.000 combattants recensés sur l'ensemble du territoire, environ 22.000 membres du RUF et des miliciens Kamajors, proches du pouvoir, ont accepté de participer à un Programme dit de Désarmement, de démobilisation et de réintégration (DDR), en clair de revenir à la vie civile. Enfin, l'accord de cessez-le-feu d'Abuja, signé à grand peine en novembre 2000, semble tenir, depuis mai dernier, malgré des incidents dans la région diamantifère de Kono, à l'Est du pays.
Risques de nouveaux affrontements
Ce petit pays d'Afrique de l'Ouest, serait-il enfin sur le point de tourner la page d'un conflit meurtrier ? «La Sierra Leone tient sa meilleure chance de parvenir à la paix depuis des années, mais la pression qui a permis d'arriver jusqu'ici doit être maintenue et même accentuée», tempère le dernier rapport de l'International Crisis Group, une organisation en pointe dans l'étude des conflits, basée à Bruxelles. Les progrès obtenus ces derniers mois tiennent effectivement à une conjonction d'efforts de la Grande Bretagne, qui maintient toujours des troupes dans son ancienne colonie, des Nations unies, de la Guinée et du camp gouvernemental. Avec pour double objectif commun de contraindre le RUF à respecter ses engagements et d'obliger son principal sponsor, le président libérien Charles Taylor, à interrompre son soutien.
Selon ICG, même accentués, ces efforts ne suffiront pas à éloigner durablement le spectre de nouveaux affrontements. Non seulement les combattants du RUF qui ont été désarmés n'en constituent pas le noyau dur, mais ils sont loin d'être les seuls fauteurs de guerre potentiels. «Dans les prochains mois, la principale menace pour la paix pourrait venir des deux autres principaux groupes armés. Les Kamajors [miliciens affiliés au pouvoir] et plus particulièrement l'armée sierra-léonaise ont bien plus de responsabilités dans les atrocités de la guerre que beaucoup ne l'imaginent à l'extérieur.»
De plus, la loyauté des militaires - dont nombre d'éléments ont été mêlés au putsch qui a mis temporairement fin au régime civil entre juin 1997 et février 1998 - à l'égard du président Ahmad Tejan Kabbah ne serait pas à toute épreuve, malgré les efforts des instructeurs britanniques chargés de leur encadrement. «La Force de défense civile [autre nom des Kamajors] et l'Armée sierra-léonaise doivent être transformées en un élément moins menaçant dont la loyauté vis-à-vis de l'Etat n'est plus contestable», estime l'organisation bruxelloise.
Or International Crisis Group s'inquiète du manque de moyens disponibles pour le programme de désarmement et de démobilisation. «Il faut dégager immédiatement davantage de fonds pour répondre aux attentes que la communauté internationale a elle-même créé». C'est effectivement, largement, en raison de la promesse d'un pécule et d'une aide au retour à une activité «civile», que beaucoup de combattants ont accepté de déposer les armes.
ICG insiste, en tous cas, sur la nécessité de neutraliser l'ensemble des groupes armés avant les élections de mai prochain. Sa principale crainte étant que la défaite éventuelle d'un RUF toujours partiellement armé relance les hostilités. Encore faudrait-il que l'organisation du vote lui-même ne fasse pas l'objet de contestation. Car la Commission électorale nationale (NEC) fait déjà l'objet de nombreuses critiques et d'accusations de corruption, d'où la suggestion d'une implication des Nations unies dans le processus.
Dans un contexte déjà difficile, le débat est, en outre, ouvert sur le jugement des auteurs d'exactions commises depuis 1996. Une Commission vérité et réconciliation, sur le modèle sud-africain, doit être mise en place, avec à la clé une amnistie pour ceux qui viendront avouer leurs méfaits. Mais c'est la création prochaine d'un tribunal international qui suscite des tensions. Composé de magistrats étrangers et sierra-léonais, il sera chargé de juger la trentaine de personnes considérées comme les commanditaires des crimes de guerre. Plusieurs responsables du RUF figurent déjà sur la liste, à commencer par leur leader Foday Sankoh, emprisonné à Freetown. Comme nombre d'observateurs, International Crisis Group estime que la mise en branle d'un tel processus, alors que le Front révolutionnaire uni n'a pas encore rendu les armes, pourrait pousser certains de ses membres à reprendre le maquis.
La situation politico-militaire de la Sierra Leone est d'autant plus complexe qu'elle est intimement liée à celle de ces deux voisins. La Guinée n'a jamais caché son soutien président Kabbah et appuierait les rebelles du mouvement Libérien unis pour la reconstruction et la démocratie (LURD) en lutte contre le régime de Charles Taylor. Ce dernier est lui-même le principal parrain du RUF, qu'il a quasiment créé et a financé grâce à la commercialisation des diamants, exploités en zone contrôlée par les rebelles sierra-léonais, et du bois libérien. C'est pourquoi, l'International Crisis Group estime que seule une gestion régionale de la crise par les Nations unies, avec désignation d'un envoyé spécial pour l'ensemble de cette zone, pourra apporter durablement la paix dans une zone fortement instable.
A lire : le rapport complet d'International Crisis Group sur la Sierra Leone
Voir le site d'International Crisis Group : http://www.intl-crisis-group.org/projects/project.cfm?subtypeid=16
par Christophe Champin
Article publié le 26/10/2001