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Prix Nobel

Naipaul, anti-musulman primaire ?

Aussi méritée que soit l'attribution cette année du prix Nobel de littérature au britannique d'origine indienne V.S. Naipaul, elle n'en choquera pas moins ceux qui ont fait les frais des sarcasmes de cet écrivain si critique à l'égard du tiers-monde dont il est issu mais aussi du monde occidental où il vit aujourd'hui.
Peu de gens croyaient encore à sa chance d'obtenir un jour cette consécration littéraire suprême. Même son éditeur français Ivan Nabokov n'a guère pu cacher sa surprise en apprenant la nouvelle: «Cela fait des années que son nom est cité pour le Nobel. Mais ses amis pensaient qu'à cause de ses remarques acerbes, notamment vis-à-vis de certains écrivains britanniques, on ne lui donnerait jamais le prix. Généralement, l'Académie suédoise décerne le prix à un auteur plus consensuel!» L'éditeur français faisait allusion aux propos peu amènes tenus récemment par Naipaul sur les monstres sacrés de la littérature anglaise que sont Dickens («auto-parodiste»), E.M. Forster («un dangereux homosexuel») et Joyce («illisible»). Il y a un an il accusait Tony Blair de promouvoir «une culture agressivement plébéienne» et de porter ainsi atteinte à l'idée même de la civilisation.

Toutes ces remarques ne l'ont pas particulièrement rendu sympathique aux yeux de l'establishment britannique. On l'accuse d'être réactionnaire, élitiste, anti-tiersmondiste.

L'islam

Mais ce sont les jugements que Naipaul a portés sur l'islam, les portraits qu'il a brossés dans ses livres des «phénomènes de névrose collectives et individuelle liés à la conversion à la religion musulmane» qui ont suscité controverses et polémiques. Profondément attaché à la culture et à la religion hindoues de ses ancêtres venus de l'Inde, Naipaul n'a eu cesse de dénoncer l'impérialisme «intransigeant» de l'Islam, attirant l'attention sur le «génocide» tant humain que culturel qui auraient été commis par les conquérants musulmans en Inde et en Asie en général. Récemment encore, il a comparé «l'impact calamiteux (de la propagation de l'Islam) sur les peuples convertis» aux conséquences du colonialisme occidental. «La suppression de soi exigée par les Musulmans, a-t-il expliqué, est plus traumatisante que le processus d'aliénation entraîné par le colonialisme. Quand vous vous convertissez à l'islam, vous devez détruire votre passé, votre histoire. Vous devez piétiner le passé et vous répéter quema culture ancestrale n'existe pas, elle ne compte pas».

La question de l'islam et de son totalitarisme a été au coeur de deux livres de voyage que Naipaul a consacrés aux pays musulmans. Il s'agit de l'Indonésie, de l'Iran, du Pakistan et de la Malaisie, quatre pays non-arabes où l'écrivain s'est rendu en 1979 pour explorer la pratique de la foi musulmane et pour comprendre comment cette pratique conduit à la révolution qui avait déjà éclatée en Iran et menaçait d'embraser le monde musulman dans son ensemble. Les rencontres et les entretiens effectués pendant ce voyage avec des ayatollahs (il a rencontré notamment le juge-bourreau de la révolution iranienne l'ayatollah Khalkhali), mais aussi avec des gens ordinaires sont à l'origine de Crépuscule sur l'Islam, livre-enquête paru en 1981.
Ce livre est profondément dérangeant, il représente les musulmans comme des êtres confus, enfermés dans leurs certitudes et dans la croyance qu'ils ont que les réponses à tous leurs malheurs se trouvent dans les textes sacrés. En 1995-96, Naipaul est revenu sur ses pas, revisité les quatre pays traversés il y a dix-sept ans, à la recherche de matériau pour un nouveau livre. Dans Jusqu'au bout de la foi, publié en 1998, l'écrivain britannique examine comment et avec quelle cruauté l'Islam a détruit chez les peuples convertis les moindres souvenirs de leurs identités passée. Il montre comment cette acculturation à marche forcée peut être génératrice de fanatismes de toutes sortes. «Les gens échafaudent des fantasmes. Et l'islam des pays convertis comporte une dimension névrotique et nihiliste. Ces pays peuvent aisément s'embraser».

Le monde musulman n'a pas apprécié et a traité Naipaul d'anti-musulman primaire. Or, pour critiques que soient ces livres à l'égard de l'islam et de son incapacité pathologique à se réformer, ils ne procèdent pas uniquement d'un besoin de polémiquer. Les textes de Naipaul sur l'islam s'inscrivent aussi dans une réflexion plus vaste sur la place du sacré dans le monde moderne dont l'absence constitue pour l'écrivain, comme il l'a dit, «la malédiction du Nouveau Monde». Il n'oublie jamais non plus ce que les sociétés contemporaines doivent à l'islam et au christianisme: «Ces deux grandes religions révélées ont changé le monde pour toujours, affirme-t-il, et nous tous, quelque soit notre croyance, nous marchons dans le chemin éclairé par elles. Au delà de leur dogmes, ces religions ont donné au monde l'idée d'une société basée sur la fraternité, la charité et la compassion, toutes choses qui nous paraissent aujourd'hui aller de soi. Ces idéaux constituent les fondements même de notre vie politique et morale aujourd'hui. Ils n'existaient pas avant, ni dans le monde antique, ni dans l'hindouisme ni dans le bouddhisme».
Et d'ajouter: «Maintenant, il est possible que ces deux religions révélées aient fini leur mission et n'aient plus rien de nouveau à nous proposer. Mais ça c'est une autre histoire!»

Sont-ce les propos d'un «anti-musulman primaire» ? Pour les jurés du prix Nobel, il est clair que la critique de Naipaul ne s'adresse pas particulièrement à l'islam, mais plutôt au phénomène religieux en général. «Il considère la religion comme un fléau de l'humanité, susceptible d'étouffer l'imagination et notre rage de penser et d'expérimenter», ont-ils déclaré.



par Tirthankar  Chanda

Article publié le 14/10/2001