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Indonésie

Les extrémistes ne font pas recette

Les forces de sécurité indonésienne ont poussé un soupir de soulagement vendredi à l'issue de la grande prière. Les manifestations anti-américaines n'ont rassemblé que quelques centaines d'extrémistes et les violences ont été évitées. Mais ce fut au prix d'un imposant dispositif de sécurité et plusieurs partis politiques musulmans pourraient finir par exploiter le mécontentement de la population pour mettre la présidente Megawati en difficulté
De notre correspondante en Indonésie

Quelques centaines de militants en robe blanches qui crient leur haine des « Etats-Unis terroristes en agitant des bambous acérés, quelques dizaines de jeunes filles voilées qui lèvent le poing en appelant au jihad contre les infidèles, des cortèges d'étudiants hérissés de portraits d'Oussama ben Laden, des drapeaux américains incendiés, des pantins à l¬effigie du président Bush décapités aux cris de «Allah Akbar!», quelques échauffourées avec la police anti-émeute. Voilà le bilan d¬une semaine de manifestations entamées au moment des premières frappes contre l¬Afghanistan et qui devaient culminer ce vendredi, après la prière. Las, au pays qui compte le plus grand nombre de musulmans au monde, les extrémistes n¬ont d¬évidence pas fait recette. Leurs appels à boycotter les produits américains, faire la chasse aux étrangers et s'enrôler pour mener la guerre sainte auprès des frères musulmans d'Afghanistan n'ont suscité qu'une indifférence polie.

Blindés et barbelés

Il faut dire que les forces de sécurité, dûment chapitrées par le gouvernement, avaient déployé un dispositif impressionnant et transformé l'ambassade américaine, lieu qui cristallise les haines, en véritable camp retranché derrière des dizaines de blindés, des cordons de police anti-émeute équipés de fusils automatiques et des frises de barbelés. Le décalage entre les maigres troupes du Front de Défense de l'islam (FPI), du Hamas, du Front Hizbullah, des Jeunesses islamiques et la masse de policiers et militaires en civil ou en uniforme n'aurait pu être plus grand. De fait, l'immense majorité des quelque 180 millions de musulmans indonésiens pratiquent un islam très modéré, mâtiné de mysticisme et tolérant envers les autres religions. Ils n'ont jamais embrassé la cause des fous de Dieu et les partis islamistes n¬ont jamais réussi de percée réelle. Le gouvernement de la présidente Megawati n'a pourtant voulu prendre aucun risque. Il ne peut se permettre le moindre dérapage dans un pays où la communauté expatriée s'est enfermée dans une véritable psychose et peut boucler ses valises à la moindre alerte. Engluée dans une crise économique sans précédent, avec une dette supérieure à sa richesse, l'Indonésie a en effet un besoin vital de l'aide des bailleurs de fonds internationaux et des investissements étranger. Elle ne tient donc pas à ce que des images de violences viennent ternir encore davantage la réputation du pays miné par la corruption et prompt aux explosions de colère. Le pari est pour l'instant réussi. Le FPI a eu beau sommer le gouvernement de rompre tout lien diplomatique avec Washington faute de quoi il lancerait la chasse aux Américains et aux Britanniques, la présidente a tenu bon. Et le FPI n'a pas mis ses menaces à exécution. Même lorsque le Conseil des Ulémas, la plus haute instance religieuse du pays, a exhorté Megawati à condamner les frappes américaines en Afghanistan, elle a maintenu sa ligne «neutre»: prendre acte des frappes sans les condamner ni les soutenir, tout en se disant préoccupée par le risque de victimes civiles.

Les opposants politiques à l'affût

Si l'Indonésie confirme à la faveur de cette crise son inclination pour un islam modéré, les groupes extrémistes vocaux continuent cependant à inquiéter. Les Laskar Jihad, les Combattants de la guerre sainte, ne se contentent pas de professer leur haine du chrétien. Ils ont envoyé depuis plus d'un an des combattants dans l'archipel des Moluques. Les affrontements inter religieux y ont fait des milliers de morts. Le FPI a lui pour habitude de mener des raids contre les établissements qui vendent de l'alcool. C'est essentiellement une guerre « nationale « que mènent le FPI ou les Laskar Jihad Même si plusieurs experts américains estiment que le réseau d'Oussama ben Laden a étendu son influence en Asie du Sud-Est, il est difficile de trouver la preuve de liens entre les extrémistes indonésiens et les hommes du milliardaire d'origine saoudienne. Mais la sympathie est profonde dans le pays pour les discours qui dénoncent l'arrogance des Etats-Unis. L'Amérique est ici perçue comme anti-musulmane, on lui reproche de soutenir l'Etat hébreu contre les Palestiniens. Les Indonésiens la voient aussi comme une superpuissance qui utilise le Fonds Monétaire International pour les endetter et les asservir. Ce ressentiment réel pourrait finir par être utilisé par les opposants politiques de la présidente Megawati qui trouveraient dans cette crise un bon prétexte pour la mettre en difficulté. Car le véritable danger en Indonésie est moins la radicalisation extrême de l'islam ou l¬extension des réseaux de Ben Laden que l¬utilisation politique des frustrations de la population lourdement frappée par le chômage et l'inflation.



par Marie-Pierre  VEROT

Article publié le 13/10/2001