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Afghanistan

Le retour des «seigneurs de la guerre»

Après plus d'un de mois de «frappes militaires , le Pentagone et l'Alliance du Nord crient victoire et continuent la «chasse à l'homme» contre Oussama Ben Laden, mais le conflit afghan commence à ressembler à un bourbier diplomatique et militaire où le rôle des pays occidentaux paraît à la fois ambigu et risqué.
Une semaine a suffi aux moudjahidines afghans de l'Alliance du Nord pour prendre le contrôle, après Kaboul, des trois quarts du territoire de l'Afghanistan. Les Taliban sont sur le point de se rendre dans les deux derniers bastions de Kounduz (au nord) et de Kandahar (sud-est). Mais ont-ils pour autant perdu tout leur pouvoir de nuisance ? Après avoir abandonné la capitale aux combattants tadjiks du successeur du commandant Massoud, le général Faqim, les Taliban ont pour la plupart «disparu» au sein de la communauté pachtoune, dans le sud-est du pays. Si certains chefs traditionnels pachtounes ont une fois de plus changé de camp et empoché au passage des milliers de dollars, d'autres ont sans doute profité de la situation confuse pour «récupérer» des combattants taliban et renforcer ainsi leur pouvoir local.

La défaite des milices islamistes a néanmoins permis au Pentagone d'afficher un certain optimisme : pour les militaires américains «la première phase du conflit afghan a d'ores et déjà prouvé que l'armée américaine peut frapper des cibles situées à des milliers de kilomètres des bases militaires alliées». Il s'agit d'une «nouvelle manière de faire la guerre», basée sur la mobilité extrême de forces spéciales dotées d'une grande puissance de feu. Ce qui pourrait permettre aux Américains d'atteindre leur «but principal» (la capture de Ben Laden), mais pas la «sécurisation» de l'Afghanistan et encore moins le «retour à la paix» d'un pays en guerre depuis plus de 20 ans.

Un scénario à la somalienne

Car, une grande tension règne apparemment, à Kaboul comme d'autres villes passées sous contrôle de l'Alliance du Nord. Les vainqueurs d'hier se sont aussitôt dressés contre les pays occidentaux qui tentent de prendre pied en Afghanistan : ils reprochent notamment aux Etats-Unis et à la Grande Bretagne de vouloir s'installer militairement et de conditionner la vie politique du pays. Différents responsables tadjiks ont souligné que les Etats-Unis ont atteint leur but (chasser les Taliban) et doivent donc partir. Quant à l'armée de Sa Majesté (ancienne puissance coloniale dans la région) elle a dû reporter le déploiement de 4 000 hommes, après que des informations qualifiées de «décourageantes» eurent été communiquées à Londres par les quelques 100 commandos britanniques déjà présents à l'aéroport de Bagram, près de Kaboul.

Il en est de même pour les premiers militaires français qui sont arrivés avec du retard en Ouzbékistan, dans la nuit de dimanche à lundi, et n'ont pas encore pu se rendre à Mazar-i-Sharif, dans le nord du pays. Comme leurs collègues britanniques, ils seraient «en contact» avec le responsable militaire tadjik de l'Alliance du Nord Mohammad Atta, qui contrôle l'aéroport mais pas le reste de la ville toujours aux mains du général ouzbek Dostom. Ce qui rend toute cette région inaccessible aux organisations humanitaires, ainsi qu'aux journalistes. Et en dit long sur la «sécurisation» réelle de Mazar-i-Sharif.

Parallèlement, le retour à Kaboul de l'ancien président Rabbani - lui aussi tadjik, qui bénéficie toujours du soutien de l'Iran, de l'Inde mais d'abord de la Russie - n'a guère contribué à la détente. Tout en appelant à la « réconciliation nationale », Rabbani a rejeté lui aussi «la présence de forces étrangères» dans son pays. Très contesté par ses propres «amis» tadjiks, il a mis ainsi le doigt dans une question qui divise les différents porte-parole de l'Alliance du Nord. Jusqu'à dimanche denier on pouvait croire que les successeurs «politiques» du commandant Massoud (Abdullah Abdullah, en charge des affaires étrangères, et Younis Qanooni, æministre de l'Intérieur') étaient plus conciliants vis-à-vis des Occidentaux que le «militaire» Faqim (un ancien des services secrets du communiste Najibullah). Finalement, les dernières déclarations anti-britanniques de Younis Qanooni confirme la grande confusion qui règne à Kaboul depuis l'arrivée de l'Alliance du Nord.

C'est sans doute pour cela qu'une grande pression est exercée actuellement sur cette Alliance, qui, en s'installant dans la capitale, conditionne désormais l'avenir du pays. Un envoyé spécial de l'ONU est à Kaboul pour discuter d'une conférence réunissant toutes les composantes politiques et que l'Alliance préférerait accueillir dans la capitale afghane. Le plan de Lakhdar Brahimi prévoit notamment la mise en place d'un Conseil provisoire, qui serait chargé de nommer une administration dirigée par « une personne reconnue comme un symbole de l'unité nationale ». On pense tout naturellement au roi Zaher Shah, en exil à Rome, qui pourrait faire l'unanimité ou presque, y compris chez les Tadjiks. Mais que faire alors de l'ex-président Rabbani ? Son arrivée à Kaboul avait été exclue par l'Alliance du Nord, il y a à peine une semaine. Depuis, la politique du fait accompli pratiquée par les Tadjiks à Kaboul et à Herat, et par l'Ouzbek Dostom (qui ne serait même pas membre de l'Alliance du Nord !) à Mazar-i-Sharif risque de plonger le pays dans une situation à la somalienne. Si cela n'est pas déjà le cas.

L'Afghanistan, en effet, n'a plus à proprement parler ni d'Etat ni d'autorité centrale. Les bombardements américains ont accéléré un processus de partition qui profitent une fois de plus aux Tadjik. Tous les différents «seigneurs de la guerre» n'ont pas encore dit leur mot, notamment du côté des Pachtounes. Le mollah Omar lui même n'a-t-il pas dit récemment que «les chefs pachtounes ne s'achètent pas : ils se louent» ? L'intervention occidentale en Afghanistan est néanmoins en route. Apparemment dans le désordre. Le caractère général des résolutions du Conseil de sécurité permettant des interprétations assez opposées des «mesures nécessaires pour répondre aux actes terroristes du 11 septembre 2001».

En 1993, l'ONU avait légitimé l'emploi de « tous les moyens nécessaires » pour secourir les habitants de Mogadiscio et les autres Somaliens victimes de la famine comme des «seigneurs de la guerre». Mais «Restore Hope», une intervention dirigée par le général Colin Powell, aujourd'hui secrétaire d'Etat, a vite tourné à la catastrophe. Voulue par Bush père, elle avait été arrêtée quelques mois plus tard par son successeur, Bill Clinton. La Somalie est ensuite entrée dans une longue période d'oubli de la part de la communauté internationale : mais, en dehors de la capitale, le pays retrouvait une situation de paix relative et d'équilibre inter-clanique de type pré-colonial.

En Afghanistan, c'est Bill Clinton, qui - via le Pakistan et l'Arabie saoudite - a aidé les Taliban à prendre le pouvoir à Kaboul, dans le but de mettre fin à une longue guerre civile. Aujourd'hui, c'est un autre Bush qui a décidé d'intervenir en Afghanistan pour les chasser du pays. Avec un mandat onusien aussi flou et le non assentiment des «seigneurs de la guerre» qui contrôlent la capitale.



par Elio  Comarin

Article publié le 19/11/2001