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Côte d''Ivoire

Le «grand oral» se mue en duel au sommet

Le «grand oral» du 13 novembre, censé permettre aux quatre grands leaders ivoiriens de défendre leurs positions devant le Forum de réconciliation nationale s'est transformé en duel entre le président Gbagbo et Henri Konan Bédié. Endossant le costume d'opposant, le chef de l'Etat déchu a livré un discours sans concession à l'égard de l'actuel gouvernement.
En l'absence du leader du RDR, Alassane Ouattara, et du numéro un de l'ex-junte, Robert Gueï, la séance censée clore la première phase du Forum de réconciliation nationale, a pris l'allure d'un duel entre Laurent Gbagbo et Henri Konan Bédié, qui a profité de l'occasion pour faire sa rentrée politique. Dans son premier véritable discours, depuis son retour d'exil le 15 octobre dernier, l'ancien président n'a pas épargné l'actuel chef de l'Etat. Volontairement silencieux durant son exil forcé, il a dressé un sombre tableau de la vie politique ivoirienne, depuis cette fameuse veille de Noël 1999 où il fut chassé du pouvoir.

Sans remettre formellement en question le résultat de l'élection présidentielle du 22 octobre 2000, qui a permis à Laurent Gbagbo d'accéder à la magistrature suprême, «HKB» a dressé un constat sans ambiguïté : «La Côte d'Ivoire n'expérimente pas à présent une alternance démocratique. Elle endure les conséquences d'un coup d'Etat brutal, violent et rétrograde». Pour réconcilier les Ivoiriens, Henri Konan Bédié a même proposé l'organisation de «bonnes élections, honnêtes et transparentes», solution maintes fois évoquée par les partisans du grand absent du jour Alassane Ouattara.

Bédié endosse le costume d'opposant

A propos de son ennemi juré d'hier l'ancien président semble donc avoir infléchi sa position : «L'intolérance ou l'intransigeance, soutenue par une passion extrême, a empêché de résoudre le problème de contestation de la nationalité de l'ancien Premier ministre». Et Henri Konan Bédié, autrefois décidé à écarter le leader du RDR de la scène politique, d'ajouter que les réformes entreprises du temps de sa présidence «donnaient la possibilité à tout personne qui s'est prévalue d'une autre nationalité d'être éligible» à condition d'y renoncer. Alors que, a-t-il souligné, la constitution actuelle a conduit, entre autres, «au rejet de la candidature de M.Ouattara à la dernière présidentielle et aux législatives

Henri Konan Bédié, qui semble décidé à endosser le costume d'opposant, a, par ailleurs, dénoncé «l'épuration politique», intervenue d'après lui ces derniers mois dans l'administration, tout en avertissant contre «un Etat FPI» (le parti de Laurent Gbagbo), qui ne servirait «ni le FPI ni l'intérêt général». S'il on y ajoute, la référence à la situation économique «sinistrée» de la Côte d'Ivoire et l'évocation du temps où les Ivoiriens avaient encore l'espoir d'une «marche résolue vers le progrès par tous et pour tous», il ne fait guère de doute que l'ancien chef de l'Etat ne désespère pas de revenir un jour aux affaires. Pourquoi pas à l'occasion de la prochaine présidentielle.

Ce dernier, n'a d'ailleurs pas jugé utile d'assister à l'intervention du président Gbagbo. Visiblement soucieux d'expliquer ses options politiques, le numéro un ivoirien s'est livré à un vibrant plaidoyer. Avez vous des griefs politiques ? «Aucun», a répondu l'ex-«opposant historique». Même pas contre celui contre qui il a lutté pendant des années, Félix Houphouët-Boigny ? «Je respecte beaucoup sa mémoire», a-t-il confié à l'assistance.

Ce qui ne l'a pas empêché d'adresser quelques piques en direction de ses deux principaux adversaires. «Depuis dix-huit ans, j'ai été toujours dans l'opposition. Mais je n'ai pas payé des bureaux d'études pour divulguer de mauvaises nouvelles sur la Côte d'Ivoire», a-t-il lancé, à l'évidence à l'attention d'Alassane Ouattara, que le gouvernement actuel a maintes fois accusé d'être responsable de la mauvaise image du pays en Occident. Sans le nommer, Laurent Gbagbo n'a pas non plus épargné Henri Konan Bédié, en évoquant, entre autres, une époque où «des membres des familles de chefs d'Etats» s'érigeaient en «concurrents implacables d'opérateurs économiques ici en Côte d'Ivoire». Un reproche régulièrement fait à l'entourage de l'ancien président, qui fut étroitement associé à de très juteuses affaires dans de nombreux secteurs jusqu'à la chute de son régime.

Revenant sur le cas d'Alassane Ouattara, Laurent Gbagbo a été on ne peut plus clair. L'article 35 de la constitution, adoptée par référendum en juillet 2000, a-t-il été fait pour éliminer l'ancien Premier ministre de la course électorale ? «C'est pour régler le cas Ouattara que les constituants ont écrit ça. Mais il faut que les Ivoiriens aient le courage et l'honnêteté d'assumer ce que le peuple de Côte d'Ivoire a voté», a-t-il notamment répondu, avant d'ajouter qu'il ne soumettrai pas la loi fondamentale à réviser. Le numéro un ivoirien a enfin nié avoir fait des promesses concernant le règlement de la situation du leader du RDR : «Des amis qui sont au RDR sont venus me voir pour dire que Ouattara dit que son passeport diplomatique est périmé. J'ai donné des instructions pour que le ministère des Affaires étrangères lui établisse immédiatement (à). Il me dit maintenant : 'donnez moi un certificat de nationalité'. Ce n'est pas moi qui rédige les certificats de nationalité

Alors que s'achevait cette séance très attendue du Forum de réconciliation nationale, le leader du Rassemblement des républicains a vivement réagi aux déclarations du président ivoirien. «Sa position devient rigide et je ne pense pas que cela s'assouplisse (à). Ce n'est certainement pas la voie de la réconcilation qu'il a choisi», a estimé Alassane Ouattara, en visite au Gabon, où il avait rencontré le médiateur Seydou Diarra, en fin de semaine dernière. «Nous ne savons pas pourquoi mon certificat de nationalité n'a pas été envoyé», a-t-il ajouté avant de répéter que des «assurances avaient été données» à son parti. L'opposant ivoirien n'a toutefois pas complètement fermé la porte en affirmant attendre la fin du Forum, le 10 décembre prochain, pour déterminer sa conduite future.



par Christophe  Champin

Article publié le 14/11/2001