Rechercher

/ languages

Choisir langue
 

Côte d''Ivoire

Gueï règle ses comptes

Le général Robert Gueï, ancien patron du Comité national de salut public, qui dirigea la Côte d’Ivoire de décembre 1999 à octobre 2000, est venu dire devant le Forum pour la réconciliation nationale, ce qui était sa vérité sur les faits qui ont marqué sa présidence et son pays.

«Mon tout premier mot sera d’abord le mot pardon». Ainsi le général Gueï a-t-il ouvert son grand oral devant un auditoire composé en majorité des militants de son parti, l’Union pour la démocratie et pour la paix en Côte d’Ivoire (UDPCI). Il a asséné ses vérités dans un ton débarrassé de toute convention diplomatique et protocolaire. Il a volontiers opté pour un style direct et familier, dans lequel le tutoiement était privilégié lorsqu’il parlait de son prédécesseur Henri Konan Bédié et de son successeur Laurent Gbagbo, à la tête du pays.

Son pardon s’adressait au peuple ivoirien et aux gens qui ont perdu un proche dans les événements qui ont marqué la fin de son règne. Mais aux présidents Bédié et Gbagbo, point de pardon. Au premier il dit: «Je n’ai aucune responsabilité à endosser ou à partager en ce qui concerne tout ce qui t’est arrivé». «Tu l’auras bien voulu» pouvait-on sous-entendre dans les propos de l’homme qui prenait le pouvoir le 24 décembre 1999. Il a d’ailleurs préciser que le fameux coup d’Etat n’en était pas un, préférant plutôt qualifier l’insurrection qui le porta au pouvoir de coup de force. Visiblement venu pour régler des comptes, c’est avec une certaine délectation qu’il s’est amusé à chercher à compromettre l’actuel président. «As-tu déjà oublié les nombreuses visites nocturnes que tu me rendais?» dit-il d’un ton accusateur. Et ses supporteurs applaudissaient à tout rompre en scandant même son nom, «Gueï, Gueï».

C’est le dernier qui a parlé qui a raison

Mais son intervention est devenue plus politique, empreinte d’un certain opportunisme lorsqu’il parle du cas Alassane Dramane Ouattara. «Pour moi M. Alassane Ouattara est ivoirien. A mon niveau le débat est clos». Fini l’épisode où le populisme et le nationalisme étaient le nerf de la guerre du général président en campagne pour une élection démocratique. Le chantre du ET et du OU dans l’article de la constitution traitant de la filiation du candidat à la présidentielle (ivoirien de père et de mère), semblait rejeter sur les politiciens du FPI (Front populaire ivoirien) au pouvoir, et du PDCI (Parti démocratique de Côte d’Ivoire) la responsabilité des dérives de «l’ivoirité». C’est avec beaucoup de force qu’il a dit ce qui était sa vérité, fort du fait de parler après tout le monde.

Le Forum pour la réconciliation en Côte d’Ivoire avait déjà entendu Laurent Gbagbo et Henri Konan Bédié. Il espère également tirer de cet exercice quelques bénéfices politiques en ces moments où la contestation gronde et monte dans l’opposition ivoirienne. Robert Gueï veut redorer son blason d’officier d’honneur et soigner son image dans l’opinion publique ivoirienne, pour un éventuel retour sur la scène politique. Pour ce soldat, ancien chef d’Etat major des armées, la stratégie est élémentaire. L’alliance avec Alassane Dramane Ouattara est plus prometteuse qu’avec Bédié démocratiquement élu qu’il a renversé et Gbagbo démocratiquement élu aussi, à qui il a contesté le pouvoir.

Mais dans sa distribution de prix aux hommes politiques de son pays, Robert Gueï ne s’est pas oublié. Il a dressé un tableau élogieux des actions conduites par son gouvernement: l’apuration de la dette extérieure, le paiement d’arriérés de salaire, le renforcement des capacités des filières coton, café et cacao, sans oublier les «avancées» démocratiques que la Côte d’Ivoire aurait connu sous son règne. Par exemple l’implication de toutes les classes politiques dans la gestion des affaires de l’Etat, ou encore l’âge électoral ramené à 18 ans et l’urne transparente pour différentes élections. Bref, après ce chapelet de satisfaction, une seule victime du jeu des politiques ivoiriens apparaît: le général Robert Gueï.



par Didier  Samson

Article publié le 27/11/2001