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Pakistan

Reprise en main des écoles coraniques

Le gouvernement pakistanais a mis à profit la crise afghane pour tenter de reprendre le contrôle des madrasas, les écoles coraniques, qui échappent à son influence.
De notre envoyé spécial à Islamabad

Informatique, mathématiques et anglais : ce sont les trois matières que les madrasas –les écoles coraniques- devront impérativement enseigner au Pakistan –en plus de l’apprentissage du Coran et des valeurs islamiques- si elles veulent bénéficier de subventions du gouvernement. «Notre but n’est pas d’affaiblir les écoles coraniques, mais au contraire d’intégrer un enseignement moderne et une éducation religieuse», explique S.M. Zaman, le vice-ministre pakistanais de l’Éducation. L’idée sous-jacente est néanmoins de mieux contrôler, voire de contraindre à la fermeture, les madrasas notoirement fondamentalistes qui, si elles ne respectent pas les nouvelles instructions gouvernementales, ne recevront plus de subsides de l’État.

Ce projet remonte à juillet dernier, mais les autorités pakistanaises n’avaient pas osé le mettre en œuvre, redoutant de fortes manifestations de rue. En effet, s’ils ne sont pas représentatifs de l’opinion publique, les partis intégristes -qui contrôlent de nombreuses madrasas- disposent d’une forte capacité de mobilisation. Ils l’avaient prouvé en mars 2000 lorsque les pouvoirs publics avaient ordonné le recensement de toutes les écoles coraniques pour vérifier l’enseignement dispensé et l’absence d’entraînement militaire. Les protestations avaient été telles que les autorités avaient fait marche arrière. Aujourd’hui la déroute des talibans –et l’affaiblissement consécutif des partis religieux qui les soutenaient- est l’occasion d’imposer la réforme.

Les protestation néanmoins ne se sont pas fait attendre. Le Maulana Sami Ul-Haq, qui dirige la madrasa de Akora-Khattak, près de Peshawar, où ont été formés de nombreux dirigeants Taliban, a aussi dénoncé «une tentative téléguidée par les puissances étrangères de détruire l’éducation islamique et de diviser les musulmans». Et il a promis des immenses manifestations «dans tous les villes et villages». Néanmoins il ne s’agit que de menaces verbales. Car ce même Sami Ul-Haq est l’instigateur des manifestations anti-américaines organisées au Pakistan durant le bombardement de l’Afghanistan. Manifestations qui n’ont jamais attiré les foules malgré les déclarations enflammées des leaders religieux.

Plus de 100 000 madrasas

Au demeurant, beaucoup de directeurs d’écoles coraniques approuvent la réforme gouvernementale, à l’instar du Maulana Mohammed Akram dont la madrasa se trouve à Lahore : «Nous enseignons déjà l’informatique, les mathématiques et les langues étrangères. Recevoir des subventions de l’État nous permettra de mieux nous équiper et de payer correctement les enseignements. Cette réforme améliorera l’image des écoles coraniques, trop souvent considérées comme des lieux de propagande obscurantiste». Une opinion que partage S.M. Zaman : «Contrairement à ce que disent les intégristes, nous ne cédons pas à la pression occidentale mais y résistons plutôt. Aujourd’hui de nombreuses écoles privées au Pakistan fonctionnent sur le modèle britannique. En modernisant les madrasas, nous allons attirer plus d’élèves qui ainsi apprendront également les valeurs islamiques. Les fondamentalistes devraient réfléchir avant de nous critiquer».

On estime à plus de 100 000 le nombre de madrasas au Pakistan, qui scolarisent près de trois millions d’enfants. Leur succès ne s’explique pas uniquement par des raisons idéologiques, mais aussi par la faillite du système scolaire publique. Les madrasas en effet logent, nourrissent et instruisent gratuitement les élèves qui viennent souvent de familles très pauvres. Si certaines sont d’un bon niveau, d’autres n’offrent qu’un faible enseignement et sont plus des lieux de propagande intégriste voire des «usines à jihadistes», à combattants islamistes. Cette réforme ne signe certainement pas l’arrêt de mort des écoles coraniques les plus conservatrices au Pakistan, qui pourront toujours être financées par des pays étrangers, notamment l’Arabie Saoudite.



par Jean  Piel

Article publié le 03/12/2001