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Monnaie unique européenne

Confusion à l’italienne

L’introduction de la monnaie unique en Italie se déroule dans un certain désordre: files d’attentes devant les banques, consommateurs un peu perdus, hausses de prix, le tout sur fond de cacophonie gouvernementale.
De notre correspondante à Rome

«Un casino totale», c’est la confusion la plus totale! Voilà ce que l’on entend à Rome. Pour s’en convaincre, il suffit de faire un tour dans un des bureaux de poste de la capitale. Le climat est digne d’un film de Fellini. Et l’on se prend à regretter la disparition de ce réalisateur qui a su si bien raconter les folies quotidiennes de l‘Italie. Devant les guichets, les queues sont interminables. Ici et là, des bras s’élèvent en signe de colère, les cris se font de plus en plus en stridents au fil des heures et les litiges liés aux conversions en euros sont tels qu’il nécessitent, parfois, l’intervention de la police.

Il faut dire que dans ce pays, chaque début de mois, une grande partie des retraités viennent retirer leur pension dans le bureau de poste le plus proche de leur domicile. Cette fois, l’arrivée de la pension a coïncidé avec celle de la monnaie unique. Or pour beaucoup de personnes âgées (et cela malgré les campagnes de sensibilisation et les multiples spots diffusés sur le petit écran), ces toutes nouvelles pièces clinquantes et ces billets «un peu fades et trop mous» ne correspondent à rien. Gaetano, 82 ans était au bord de la crise d’apoplexie, quand un employé lui a tendu un billet de 500 euros à la place des dix grands beaux billets de 100 000 lires, qu’il était habitué à recevoir. «Mamma mia! je suis devenu pauvre! Au moins, avant, j’avais l’orgueil de me sentir millionnaire. Mais dites, il est pas faux au moins ce billet?».

Chez les petits commerçants (60 % du tissu commercial à Rome) l’ambiance est folklorique. Chacun est armé de sa petite ou très grosse calculette, et on s’essaie aux décimales. Pas facile pour nos amis transalpins, qui n’ont pas jonglé avec les centimes depuis la fin de la Seconde guerre mondiale. Tout le monde s’y perd. Cela se termine soit par de grands fous rire, soit par des hurlements à vous donner la chaire de poule! En tous cas, si vous voulez obtenir un beau sourire de la belle pizzaïola, tendez-lui des lires, surtout pas des euros.

Umberto Bossi: «Je me fiche de l’euro»

De fait, 90% de la population continue d’utiliser les lires pour les dépenses courantes et, trois jours après l’entrée en scène de la monnaie unique, seules 3% des transactions sont effectuées en euro, contre 50% en France ou aux Pays-Bas! Cela dit, contrairement à ce que racontent les mauvaises langues, 90% des distributeurs automatiques fonctionnent comme il se doit (plus de 600 millions d’euros ont déjà été prélevés)
Par contre dans les banques, là encore il faut s’armer de patience et de courage...

Mais c’est dans les gares que l’on a assisté aux scènes les plus dramatiques, le système informatique d’émission des billets de train, avec tarif en euros, étant tombé en panne! Ainsi le 2 janvier, pour obtenir un billet Rome-Naples, par exemple, il fallait faire la queue pendant deux heures et demie. Plus de temps que n’en met le train à parcourir la distance qui sépare ces deux villes.

Autre problème qui préoccupe sérieusement les associations de défense des consommateurs: ces petits malins qui profitent du passage à la monnaie unique pour augmenter leur prix. C’est le cas notamment pour le café (0,77 euros) les brioches ( 0,80 euros) et autres douceurs matinales. Plus surprenant, même le Vatican n’a pas su résister à la tentation d’ajuster ses prix à la hausse. Ainsi le parchemin de bénédiction papale, que l’on peut acheter dans les magasins de souvenirs situés près de la basilique Saint-Pierre de Rome, et qui doit être authentifié par l’aumônerie apostolique du Vatican, est passé de 5000 lires à 3 euros, soit une hausse de 0,46 euros! Selon la Federconsum, la fédération italienne des consommateurs, les ajustements par excès coûteront en moyenne 52 euros par mois a chaque famille.

Enfin comble du comble, alors que nous sommes en pleine trêve des confiseurs, Rome affiche de profondes divisions entre les ministres de son gouvernement. Umberto Bossi, chargé des Réformes et chef de la Ligue du Nord, parti populiste aux accents xénophobes, à déclaré «je me fiche de l’euro», tandis que le ministre de la Défense Antonio Martino prédisait allègrement l’échec de la monnaie unique. Seul Renato Ruggiero ancien directeur du Wto, chef de la diplomatie et homme de grand prestige, se bat désespérément pour changer l’attitude du cabinet Berlusconi. Mais il est dit bord de la crise nerfs, et même dit très triste, seul et préoccupé par l’absence de débat politique sur l’Europe en Italie. Le Premier ministre Silvio Berlusconi a dû intervenir pour rappeler l’ancrage européen de l’Italie. Mais on ne sait pas si, comme son homologue français Lionel Jospin, il a offert un bouquet de roses achetés en euros à sa superbe femme Veronica Lario.



par Anne  Le Nir

Article publié le 04/01/2002