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Maroc

Le «prince rouge» choisit l’exil

Connu pour ses analyses partagées par la «nouvelle gauche marocaine», le prince Moulay Hicham a quitté son pays le 23 janvier, «écoeuré» par les pratiques policières du royaume chérifien. Il s'installe à Princeton, aux Etats-Unis, pour une durée indéterminée.
De notre correspondante au Maroc

«J'ai besoin de décrocher de ces barbouzes, je me ressource, je me repose. Aujourd'hui, j'ai mené mes gosses à l'école, c'est important. Je ne peux pas rester dans une ambiance de flics» a déclaré Moulay Hicham, contacté par RFI, cinq jours après son installation aux Etats-Unis. Le cousin du roi du Maroc, numéro deux dans l'ordre de succession au trône alaouite, ne s'embarrasse pas de métaphores pour critiquer la DST (Direction de la sûreté territoriale), dirigée par le général Hamidou Laânigri, qui n'a eu de cesse de le harceler, lui et sa famille, ces derniers mois. Ces «machinations invraisemblables», destinées à alimenter une théorie du complot, dont l'instigateur serait le prince lui-même, apparaissent comme autant de ripostes aux prises de position publiques de Moulay Hicham, prônant une refondation de la monarchie, sur des bases démocratiques et populaires rénovées.

Le départ de celui que l'on surnomme parfois «le prince rouge» ne signifie pas pour autant que ce dernier jette l'éponge. Le 7 janvier, il adressait au ministre de l'Intérieur, Driss Jettou, un mémoire destiné à éclairer la commission d'enquête concernant plusieurs affaires. En l'absence de toute réaction, Moulay Hicham a communiqué le document à Demain Magazine et au Journal hebdomadaire, les journaux les plus critiques à l’égard du pouvoir et les plus attaqués par le gouvernement Youssoufi.

Machinations de la DST marocaine?

Se présentant volontiers comme citoyen marocain responsable et militant avant tout, Moulay Hicham, rappelle que les «dysfonctionnements graves» qu'il a consignés nourrissent ses «plus vives appréhensions quant à la situation actuelle que traverse le royaume». Pour lui, l'Etat est en crise, il est affaibli par des forces occultes et des réseaux menaçant de devenir incontrôlables. C'est pourquoi, toujours selon lui, un débat national sur la réforme du nouveau règne est indispensable à la réalisation d'un nouveau projet de société. Il s'agit de prendre en compte les aspirations authentiques du peuple marocain, de barrer la route à ceux qui ne cherchent qu'à satisfaire leur soif de pouvoir, et pour cela, il faut veiller à ce que l'institution militaire reste séparée de la sphère politique. A cet égard, le prince se félicite que ce soit le cas au Maroc, à la différence de nombreux pays musulmans et du tiers-monde.

Le mémorandum qu’il laisse vise d'abord à faire la preuve des machinations ourdies contre le prince par la DST. Mais il permet surtout de comprendre que ce mauvais thriller policier repose sur des conceptions politiques différentes. Que reproche-t-on à Moulay Hicham ? En décembre 1999, il soutient à l'Ifri (Institut français des relations internationales) que la monarchie constitutionnelle doit avoir un rôle consultatif et se poser en arbitre. Il récidive en mai 2001, au même endroit, et en soulignant «la gravité de la crise politique, sociale et culturelle» que traverse le Maroc. Il reprend ces analyses dans le journal Le Monde un mois plus tard, mettant en évidence les blocages de la situation marocaine et la déstabilisation qui pourrait en découler. Un article du Monde, en juillet 2001, titré «En attendant Mohamed VI» finit de mettre le feu aux poudres.

Les médias marocains émettent l’hypothèse d’un complot contre le Maroc. On se demande alors quels liens unissent Moulay Hicham et ces ennemis de l’extérieur. L’opinion publique est divisée. D'un côté on signale l'immobilisme d'un pays où le renouveau démocratique promis n'arrive pas, de l'autre on s'offusque de critiques venues de l'extérieur, on précise que la transition démocratique est nécessairement lente et on part en croisade contre les «ennemis du Maroc». Un ministre marocain, monsieur Lahlimi, laisse même entendre, à mots couverts, en août, que des comploteurs étrangers ont instrumentalisé le prince. Pour Moulay Hicham, il s'agit «d'un pré-conditionnement de l'opinion publique, devant conduire à mon incrimination sur la base d'un dossier en cours de fabrication».

C'est ainsi que, selon l'auteur du mémoire, la DST s'active pour accumuler les pièces à charge et que les services d'Hamidou Laânigri tentent par tous les moyens de l'impliquer dans différentes affaires, d'une gravité croissante. En octobre, on le mêle à une fausse alerte à l'anthrax, deux de ses amis sont malmenés dans un commissariat. Le prince voit alors dans la fuite de documents d’enquête, théoriquement secrets et publiés par une gazette proche de la DST, une orchestration des services secrets. Il est ensuite accusé d’entretenir des liens secrets avec des gradés des forces armées royales. On séquestre alors son ancien chauffeur dans une voiture, pour tenter de lui extorquer des aveux. Le prince dénonce également des pressions exercées sur son entourage, famille et proches, des écoutes téléphoniques, des filatures. Ce harcèlement s’ajoute, de surcroît, à la censure de ses prises de position par les médias «aux ordres», télévision et journaux, écrit-il aussi.

Tout récemment, le 26 janvier 2002, la presse a révélé qu'on avait voulu faire de lui une sorte de putschiste voulant créer un émirat au Sahara Occidental. «Ce sont des machinations invraisemblables», dit aujourd’hui le prince. La polémique a pour dernier avatar un article publié dans Jeune Afrique/l'Intelligent fin janvier, sous la plume de François Soudan, consacré à Moulay Hicham et intitulé «L'homme qui voulait être Roi».

En conclusion, Moulay Hicham affirme que si complot il y a, c'est d'une machination de la DST contre lui qu'il s'agit. Il en a consigné les faits et ajoute qu’il en détient les preuves. Aux Etats-Unis pour une durée qui dépendra de l'évolution du Maroc, Moulay Hicham précise qu'on n'a pas cherché à le retenir, qu'il est libre de ses mouvements, mais qu'il fait en sorte que l'on puisse découvrir qui fait quoi dans ce pays. Reviendra-t-il voter en septembre ? La question le surprend: «Je ne sais pas quoi vous dire. Je n'en sais rien, nous sommes arrivés à un point où l'on ne sait plus de quoi demain sera fait».



par Isabelle  Broz

Article publié le 30/01/2002