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Maroc

Affaire Ben Barka : le témoin condamné

Ahmed Boukhari, l'auteur de révélations récentes sur les circonstances de la disparition et de l'assassinat de l'opposant marocain Mehdi Ben Barka vient d'être condamné à un an de prison pour chèque sans provision ce qui l'empéchera d'être entendu par le juge français en charge de l'affaire Ben Barka.
De notre correspondante au Maroc

En condamnant Ahmed Boukhari à un an de prison pour chèques sans provision, la justice marocaine a, une fois de plus, montré qu'elle était tout sauf indépendante, dès que le fonctionnement du tentaculaire appareil sécuritaire du pays se trouve sur la sellette. Car il ne fait en effet aucun doute, pour les militants des droits de l'Homme comme pour de nombreux observateurs, que cette condamnation pour un motif aussi banal n'est qu'un coup monté par les "services" pour faire taire un témoin de plus en plus gênant. Un personnage capital capable de faire enfin éclater une grande partie de la vérité sur les trop nombreuses exactions commises pendant les "années de plomb" entre 1960 et 1980.

Si les premières révélations de cet ancien agent du "Cab-1" - le service de la contre-subversion - ont été accueillies avec scepticisme au Maroc lorsqu'il a décrit avec de nombreux détails l'assassinat de l'opposant Mehdi Ben Barka en banlieue parisienne et la dissolution de son corps dans une cuve d'acide à Rabat, très vite, cependant, la presse nationale a eu le sentiment qu'Ahmed Boukhari était sincère et lui a ouvert ses colonnes. Et les Marocains ont ainsi découvert les arcanes d'un système répressif qui les a terrorisés pendant deux bonnes décennies et dont ils se méfient toujours, encore aujourd'hui.

L'ancien agent a ainsi multiplié les révélations sur les opérations d'enlèvements, de tortures et d'exécutions sommaires conduites durant les années noires qu'a connues le pays. Et, plus gênant encore, il a même affirmé avoir les noms de plusieurs personnalités, dont certaines, a-t-il dit, sont aujourd'hui dans l'actuel gouvernement, qui ont activement collaboré avec les services, souvent contre rémunération.

Condamné deux fois pour les mêmes faits

Beaucoup, dans les allées du pouvoir, avaient donc intérêt à ce qu'Ahmed Boukhari se taise, et une plainte en diffamation et faux témoignage a très vite été déposée contre l'ancien agent par trois de ses anciens collègues, présentés dans ses révélations comme ayant directement participé à la liquidation de Mehdi Ben Barka. Ce qui n'a pas empêché Ahmed Boukhari, longuement entendu par la police judiciaire et même confronté avec ses accusateurs, de maintenir ses affirmations en affirmant que les trois hommes en question s'étaient bien rendus en France, qu'ils l'avaient sous de faux noms qu'il pouvait dévoiler, et avec de faux passeports.

La justice marocaine, loin d'enquêter et de chercher à vérifier l'authenticité des propos d'Ahmed Boukhari pour que la lumière soit enfin faite sur un crime d'Etat jamais élucidé depuis 36 ans, a finalement obéi à ceux qui voulait à tout prix mettre un terme à cette hémorragie de révélations. Le jeune capitaine Mustapha Adib, qui croyait pourtant servir son pays en dénonçant au début du règne du roi Mohammed VI la corruption dans l'armée a été condamné à deux ans et demi de prison à l'issue d'une parodie de justice sous prétexte qu'il avait parlé à un journaliste étranger. Ahmed Boukhari, lui, qui croyait lui aussi bien faire en évoquant les exactions passées des services de sécurité, a donc subi le même sort pour un prétexte : celui d'avoir fait quatre chèques sans provisions. Or deux de ces chèques û les plus importants û ont déjà fait l'objet d'une condamnation en 1998. La défense de l'ancien agent qui a pourtant présenté des preuves écrites le confirmant arguant que son client ne pouvait être jugé deux fois pour le même délit s'est vue infligée une fin de non recevoir.



par A Rabat, Mounia  DAOUDI

Article publié le 30/08/2001