Rechercher

/ languages

Choisir langue
 

Education

Les parents d’élèves prennent la parole

L’état de l’école en Afrique alarme les parents qui veulent maintenant prendre une part active à la «reconstruction» de l’éducation nationale. Régulièrement mis à contribution, mais rarement écoutés, ils s’organisent aujourd’hui au sein de la Fédération africaine des associations des parents d’élèves et d’étudiants (Fape) et entendent bien devenir un groupe de pression. Martin Itoua, le président de cette fédération continentale, nous dit ses inquiétudes et ses espoirs pour l’école en afrique.
RFI: Quel constat faites-vous de l’éducation nationale actuellement en Afrique ?

Martin Itoua:
Le constat que nous faisons de l’état de l’éducation en Afrique est tout à fait simple. L’école africaine est en crise. C’est ce qui a d’ailleurs participé à la création de la Fape en janvier 1995. Les parents que nous sommes voulons contribuer à la renaissance de l’école de nos pays respectifs. Nous voulons que l’école soit vue autrement, qu’elle occupe la place qui lui est due. Depuis de nombreuses années les conflits se succèdent, les années scolaires et universitaires sont invalidées et ceci est une grande préoccupation pour nous qui avons le souci de la réussite de nos enfants. Et nous voulons faire entendre notre voix, en demandant à la classe politique africaine de regarder l’école autrement et de faire la politique autrement en faisant de l’école une zone privilégiée et protégée.

RFI: Vous exprimez vos inquiétudes, exprimez aussi vos souhaits et recommandations à travers vos congrès, vos réunions, à travers diverses publications et supports médiatiques, mais pensez être écoutés ?

M I:
A notre dernier congrès de Ouagadougou en 1998, le thème de débat était: quel secondaire et quelle université pour nos enfants ? En réalité les parents voulaient s’interroger sur les conséquences réelles de l’école en Afrique et proposer un projet éducatif. Nous voulons que l’école soit en harmonie avec la société actuelle, une école adaptée au besoin d’emploi. Nous voulons pas d’une école qui forme des gens qui s’inscrivent au chômage, c’est pourquoi nous souhaitons que l’école soit dans tous les pays africains, une cause nationale dont les objectifs sont définis par les politiques en partenariat avec la société civile. L’école est le moteur du développement en Afrique. C’est pour ces raisons que nous demandons que l’éducation nationale, dans chaque pays, soit dotée d’un budget consistant. Et pour mieux être entendus nous avons adhéré à un système de réseau africain de la «campagne éducation pour tous» lancé par l’Unesco, qui se destine à faire du lobbying en faveur de l’éducation. La Fape fait partie également du réseau mondial de «l’éducation pour tous», qui a pour objet d’imposer aux bailleurs de fonds et aux politiques africains, l’éducation comme priorité, pour qu’on arrive à une école de qualité pour tous. Et nous commençons par avoir quelques résultats encourageants, mais qui restent encore timides.

Des parents acteurs du développement

RFI: Les parents d’élèves veulent donc avoir droit au chapitre, surtout pour tout ce qui engage l’avenir de leurs enfants, mais votre organisation n’est-elle pas confrontée à une diversité de problèmes et d’intérêts d’un pays à un autre ?

M I:
C’est justement un des thèmes du deuxième congrès de notre fédération qui se tiendra du 25 au 27 février prochain à Treicheville en Côte d’Ivoire. Nous travaillerons à l’écriture et à l’adoption d’une charte africaine des parents d’élèves. Ce serait un document, une sorte de contrat qui lie les pouvoirs publics aux parents. Nous voulons maintenant avoir des règles du jeu assez claires, avec des taches bien distribuées, des obligations, des devoirs et des droits connus de tous. Nous voulons que le statut du parent soit reconnu, qu’il ait son mot à dire parce qu’il est tout simplement un pourvoyeur au niveau de l’école. Avec un tel document nous pourrons imposer notre point de vue de parents, bien utiles dans de nombreux cas. Il est dommage que dans de nombreux pays, nos actions soient perçues comme des actions syndicales et non comme des actions participatives.

RFI: Les conflits armés en Afrique ont fait reculé les taux de scolarisation, mais dans d’autres pays les causes de l’arriération sont ailleurs.

M I:
Le siège de la Fape est à Brazzaville. Mon pays, le Congo, a connu de nombreuses guerres civiles qui ont eu pour conséquences directes, un grave recul de l’éducation nationale. Le taux de scolarisation qui était un des plus élevé en Afrique, est tombé à un niveau très bas et même alarmant. C’est le cas en Centrafrique, au Libéria, en République démocratique du Congo et dans de nombreux autres pays africains. Là, l’école est sacrifiée au profit des efforts de guerre. Nous vivons, pour tous ces pays, une situation de véritable catastrophe. En revanche, au Niger par exemple, la grande pauvreté peut être une des raisons. Il faut ajouter à cela les mauvaises réponses apportées au problème qui déclenchent des conflits sociaux. Dans un système où le pauvre parent est sollicité en permanence au porte-monnaie, il arrive bien un moment où c’est lui qui jette l’éponge. L’enfant n’ira plus à l’école, non pas parce qu’il veut pas, mais parce qu’il n’a pas les moyens de le scolarisé. Et là, moi je dirai que la responsabilité incombe au pouvoir public. C’est le cas du Niger qui instaure des droits de scolarité ou des droits d’examens qui dépassent les faibles moyens du commun des Nigériens. Notre fédération va d’ailleurs dépêcher au Niger, dès la fin de ce mois de janvier, une mission qui tentera de faire comprendre aux politiques nigériens que l’école est une affaire collective, que l’éducation est une cause nationale et qu’il n’est pas question d’en faire payer le prix aux seuls parents.

RFI: Que pensez des grèves à répétition, de la fermeture des établissements scolaires et universitaires et de l’invalidation des années scolaires, devenue l’ultime arme du pouvoir politique en Afrique ?

M I:
L’une de nos recommandations vers les pouvoirs politiques en Afrique, c’est la protection des établissements scolaires qui deviennent des zones de recrutement des partis politiques. Nous n’avons pas vraiment été entendus. Mais notre préoccupation est surtout de faire des parents, lors de conflits, les premiers médiateurs. En Guinée, en Côte d’Ivoire, au Sénégal, au Congo, pour ne citer que ceux-là, le rôle de l’association des parents d’élève s’est accru. C’est à ce prix que nous allons stopper la propension actuelle des gouvernements africains à déclarer des «années blanches», qui ne sont que la résultante de politiques inappropriées et mal menées. Il ne faut plus que l’école soit une cible des hommes politiques. Nous en payons le prix fort et exprimons aujourd’hui un ras-le-bol. Mais la marche vers des démocraties apaisées, dans nos différents pays, nous donnent de bonnes raisons d’espérer. Je crois en la renaissance de l’école africaine.



par Propos recueillis par Didier  Samson

Article publié le 22/01/2002