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Burkina Faso

Polémique sur des exécutions extrajudiciaires

Le Mouvement burkinabé des droits de l’homme et des peuples (MBDHP) affirme avoir dénombré, en l’espace de trois mois, 106 corps victimes d’exécutions extrajudiciaires. L’organisation pointe du doigt les forces de sécurité qui ont engagé depuis quelques mois une vaste campagne de lutte contre le banditisme. Le gouvernement par la voix du ministre de la sécurité réfute ces accusations et justifie les interventions des forces de sécurité par la «situation exceptionnelle» que connaît le pays avec la montée en puissance du banditisme.
De notre correspondant au Burkina Faso

Le 10 janvier dernier, les quotidiens burkinabé présentaient les photos de neuf corps criblés de balle et jetés en bordure de la route nationale n° 2 entre Ouagadougou et Ouahigouya avec autour des douilles de balle. Cette scène macabre est devenue en quelques mois une habitude dans les colonnes des journaux du pays. Il ne se passe presque plus une semaine sans que la presse ne fasse état de corps jeté ici et là, en ville comme en campagne.

Le MBDHP, qui dispose de sections dans toutes les provinces du pays, a affirmé, la semaine dernière, avoir dénombré 106 corps durant une période de près de trois mois allant du 15 octobre 2001 au 9 janvier 2002. «Il s’agit généralement de corps de personnes parfois ligotées avant d’être abattues et qui sont jetés aux vautours et aux chiens errants», dénonce Chrysogone Zougmore, secrétaire général de l’organisation. Le MBDHP n’a guère de doute sur les auteurs de tels actes : «Sur le terrain, nous trouvons des douilles de balles de guerre qui prouve qu’il s’agit des forces de sécurité». Il dénonce un «abattage systématique» d’êtres humains. «Dans un État de droit, la lutte contre le banditisme doit se faire dans la légalité», déclare M. Zougmore. Le MBDHP a donc interpellé dans la presse le gouvernement sur ces exécutions extrajudiciaires. Selon le secrétaire général du mouvement «si l’on n’y prend garde, sous le couvert de la lutte contre le banditisme, on arrivera à des règlements de compte

«Aucun répit pour les bandits»

La réaction du gouvernement ne s’est pas fait attendre. Le ministre de la sécurité Djibril Bassolet et la secrétaire d’État aux droits de l’homme Monique Ilboudo ont donné lundi 4 février une conférence de presse. Le premier a rejeté les accusations du MBDHP. Pour lui, les effets des accrochages entre bandits et forces de sécurité ne sauraient être «assimilées à des exécutions extrajudiciaires». S’appuyant sur des statistiques, Djibril Bassolet a justifié les interventions musclées de ses agents par le fait que le banditisme est devenu un phénomène inquiétant au Burkina. En 2001, les services de gendarmerie et de police ont enregistré 1 605 cas d’attaques à mains armées qui ont engendré 34 décès. «Lorsque vous avez affaire à des bandits qui opèrent avec des armes de guerre, quelle règle d’État de droit doit-on respecter ?», se demande le ministre de la Sécurité qui déclare que ses agents ne laisseront aucun répit aux bandits. Il s’en est pris vigoureusement au MBDHP qui, lance-t-il, «ne dit rien lorsque les bandits tuent les paisibles citoyens».

La seconde, Monique Ilboudo, s’alignant sur la thèse des effets des accrochages, a parlé de situation exceptionnelle pour la sécurité des citoyens. Faisant allusion aux prisonniers taliban détenus par les Américains au mépris selon certaines organisations de toute règle de droit international, la secrétaire d’État déclare qu’il y a des moments ou des actions parfois dérogatoires au droit pour la protection des populations. «Mais si à l’examen, il s’avère qu’il y a eu effectivement des exécutions extra-judiciaires, ce serait très grave. Et des sanctions seraient alors prises», précise-t-elle.

La polémique n’est pas près pour autant de retomber puisqu’à son tour, le MBDHP prévoit une conférence de presse le jeudi 7 février pour contre-attaquer. A l’évidence, les deux parties se sont engagées dans une véritable course de conquête de l’opinion. Certes, le gouvernement, sans cesse interpellé dans les médias sur la montée du banditisme dans le pays, est convaincu d’avoir l’opinion nationale de son côté. Mais il craint beaucoup pour son image à l’extérieur fortement écorchée ces dernières années par de nombreux cas d’assassinat dont celui du journaliste Norbert Zongo en décembre 1998. En juillet dernier, la Commission africaine des droits de l’homme, une institution spécialisée de l’OUA, avait épinglé le gouvernement burkinabè pour violations massives des droits humains à la suite d’une plainte introduite en 1997 par le président du MDHP.



par Alpha  Barry

Article publié le 06/02/2002