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Trafic d''armes

Des diamants et des armes, sur la piste de Ben Laden

L’arrestation du trafiquant d’armes et de diamants Sanjivan Ruprah, la semaine dernière en Belgique, pourrait lever un coin du voile sur un gigantesque réseau ayant alimenté les conflits africains et, peut-être, le mouvement d’Oussama Ben Laden et les Taliban afghans.
C'est un personnage clé du trafic international d’armes et de diamants que la police belge a arrêté la semaine dernière. Sanjivan Ruprah, kényan d’origine indienne, est au centre d’un vaste réseau où l’on retrouve le Liberia et la Sierra Leone, deux pays d’Afrique de l’Ouest saignés par d’atroces guerres civiles, la République démocratique du Congo, l’Angola, et peut-être aussi les Taliban afghans et le mouvement Al-Qaïda. Les révélations qu’il pourrait faire intéressent d’autant plus la justice, que Ruprah est très proche d’un homme fiché par Interpol : Viktor Anatolievitch Butt, mieux connu sous le nom de Victor Bout. A travers le businessman indo-kényan, c’est cet ancien officier russe, né au Tadjikistan, que les enquêteurs belges mais aussi, depuis les attentats du 11 septembre, américains, espèrent atteindre.

Bout a été épinglé dans quatre rapports d’experts des Nations-Unies sur le financement des conflits angolais, sierra-léonais, congolais (ex-Zaïre) et libériens, publiés depuis 1999. Propriétaire de plusieurs compagnie aériennes, basées dans les Emirats arabes unis, il est présenté, comme le principal pourvoyeur d’armes des rebelles de l’UNITA, du RUF sierra-léonais, et de leur mentor, le président libérien Charles Taylor, de même que des mouvements armés opposés au pouvoir de Kinshasa, au Congo démocratique. Le plus souvent, ces cargaisons ont été livrées contre des diamants extraits dans les zones de conflit, longtemps revendus tout à fait légalement sur la célèbre place d’Anvers, en Belgique.

Soupçons de liens entre Victor Bout, Al-Qaïda et les Taliban

Jusqu’ici, Victor Bout est resté insaisissable. Titulaire d’au moins cinq passeports, modifiant constamment le nom, voire le lieu de siège de ses compagnies aériennes, ce «marchand de mort» sait, de plus jouer, sur les deux tableaux. Selon le quotidien britannique Financial Times, l’une de ses sociétés, Air Cess, aurait ainsi transporté des forces de maintien de la paix de l’ONU, du Pakistan au Timor Oriental. Prudent, il en a d’ailleurs cédé la direction à son frère Sergueï.

La «guerre contre le terrorisme» menée par les Américains depuis les attentats du 11 septembre pourrait toutefois donner un coup de pouce à la traque un peu solitaire du procureur belge, Dirk Merckx, qui tente de mettre la main sur lui depuis trois ans. Jusqu’à ce qu’ils estiment disposer de suffisamment d’éléments pour le soupçonner de complicité avec les Taliban et Al-Qaïda, les Américains ne s'intéressaient guère à Bout. A présent, il est sur leur liste noire. Ces derniers mois, le quotidien américain Washington Post avait évoqué à plusieurs reprises son rôle dans l'éventuel financement de l’organisation d’Oussama Ben Laden par des ventes de «diamants de la guerre», notamment par l’intermédiaire du RUF sierra-leonais, un mouvement qu’a contribué à créer et soutenu l’actuel numéro un libérien. Autant d'informations que Washington prend très au sérieux.

Johan Peleman, spécialiste belge du trafic d’armes et membre des groupes d’experts des Nations Unies sur la Sierra Leone et le Liberia, est moins affirmatif. «Je n’ai jamais eu en mains la preuve de tels liens», nous a-t-il affirmé. Ce chercheur qui passe pour un des meilleurs connaisseurs du cas Bout et a été en contact étroit avec Ruprah ces derniers mois, reconnaît néanmoins des coïncidences. Le fait que le siège d’Air Cess se trouve aux Emirats Arabes Unis et que Bout ait été associé avec le Cheikh Abdullah bin Zayed, un homme d’affaires ayant ses entrées à Kandahar, l'ancien fief des Taliban, ont, selon lui, logiquement alimenté les soupçons américains.

A ce titre, l’interpellation de Sanjivan Ruprah pourrait s’avérer riche en révélations. Installé depuis plusieurs mois en Belgique, ce dernier s’était rapproché des Américains, après les événements du World Trade Center, manifestement pour échapper aux foudres de Washington. Selon le Los Angeles Times, le trafiquant kenyan, interrogé à plusieurs reprises par le FBI aux Etats-Unis et à Bruxelles, pourrait livrer des éléments clés sur les liens entre Bout, Al Qaïda et le régime Taliban. Celui-ci a-t-il aidé à leur financement par la vente diamants sierra-léonais et congolais ? La compagnie Air Cess, a-t-elle transporté des armes pour le compte des Taliban et d’Al Qaïda, comme l’a écri le Los Angeles Times ? Une chose est certaine : pour avoir travaillé étroitement avec l’ex-officier Russe, Sanjivan Ruprah en sait beaucoup sur ses activités. Il a lui-même servi d’intermédiaire pour la commercialisation d’armes, entre les pays de l’Est et l’Afrique, et de diamants, entre cette dernière et la célèbre place d’Anvers. Johan Peleman s’interroge toutefois sur les intentions du trafiquant kenyan, dont il n’est pas exclu qu’il joue double jeu, en faveur de Bout…

En Belgique en tous cas, c’est avant tout au commerce illégal d’armes et de diamants vers l’Afrique , et notamment aux contacts de Sanjivan Ruprah sur la place d’Anvers que s’intéressent les juges. Longtemps proche du régime en place au Liberia, où il fut un temps «Commissaire adjoint aux Affaires maritimes», il a en outre entretenu des contacts étroits avec les mouvements rebelles au Congo démocratique. Ruprah a même été marié à la défunte sœur d’Adolphe Onusumba, actuel leader du RCD-Goma, l’un des principaux mouvements armés opposé au régime de Kinshasa. Autant dire que la justice belge, qui a également mis sous les verrous plusieurs autres personnes dans cette affaire, attend beaucoup de cette arrestation.

Ecouter également :
L'analyse de Dominique Thierry
(18/02/2002, 1')



par Christophe  Champin

Article publié le 18/02/2002