Zimbabwe
Les scénarios de l’après-élection
A la veille d’une présidentielle taillée sur mesure pour Robert Mugabe, la plupart des observateurs attentifs de la situation au Zimbabwe s’inquiètent de l’après élection. A entendre certains d’entre eux, le pays est au bord de la guerre civile.
Alors que les Zimbabwéens s’apprêtent à se rendre aux urnes, les 9 et 10 mars, nombre d’analystes s’alarment des risques d’explosion au lendemain de l’élection présidentielle la plus attendue depuis l’indépendance, en 1980. Pour la première fois en 22 ans, Robert Mugabe est confronté à un candidat, Morgan Tsvangirai, que toutes les études sérieuses donnent gagnant en cas d’élection un tant soit peu transparente. Deux ans après la première victoire électorale, au référendum constitutionnel de février 2000, d’un mouvement d’opposition né à peine quelques mois plus tôt, le chef de l’Etat et son parti, la ZANU-PF, ont tout mis en place pour garantir sa victoire. Répression systématique contre les adversaires du pouvoir, qui aurait coûté la vie à au moins cent militants du MDC depuis deux ans, mise en place de milices, manipulation des liste électorales : la méthode a été décrite par Robert Mugabe lui-même comme une «déclaration de guerre» contre son adversaire.
Accusé désormais de complot d’assassinat contre le chef de l’Etat – un montage manifestement commandité en haut lieu - Morgan Tsvangirai ne lâche pas prise. Ces derniers jours, il a poursuivi sa campagne, en dépit de l’interdiction de certains de ses meetings et du harcèlement des partisans du pouvoir. Certains se prennent donc encore à croire que l’ancien syndicaliste peut rafler la mise. La presse privée, dont les journalistes poursuivent leur travail en dépit d’une législation de plus en plus restrictive des libertés, veut en tous cas y croire. «L'avenir de la nation est entre les mains des Zimbabwéens. Ils doivent user du secret du vote pour se libérer de la tyrannie et de la folie», écrit ainsi l’éditorialiste du Financial Gazette, l’un des plus anciens hebdomadaires locaux. Le message du Daily News, le seul quotidien indépendant du pays, est tout aussi clair : «Vous avez le droit et le pouvoir de choisir le gouvernement que vous voulez et que vous méritez. Le Zimbabwe pourrait être différent à cette heure la semaine prochaine.»
«Il n’y aura pas de divine surprise»
Chenjerai Hove, écrivain renommé et journaliste, qui a dû quitter le pays face aux pressions des services secrets locaux, estime également que le leader du MDC a encore ses chances. «Les gens sont lassés des exactions des miliciens du parti au pouvoir (…). Comment voulez-vous qu'ils votent pour Mugabe après cela ?», déclarait-il dans une interview à RFI en début de semaine. Le problème reconnaît-il, c’est que Robert Mugabe n’a aucune intention d’accepter une éventuelle défaite.
«Il n’y aura pas de divine surprise», avertit Daniel Compagnon, un politologue français spécialiste du Zimbabwe. «Mugabe a toujours combattu pour le pouvoir. Il a de plus un mépris profond pour Tsvangirai qu’il surnomme ‘small boy’ (petit garçon) et qui ‘n’a même pas combattu pour l’indépendance’. De plus s’il quittait le pouvoir en le laissant à un héritier, il ne pourrait pas rester au Zimbabwe. Même si la ZANU-PF est toujours aux affaires, il craint d’éventuelles poursuites pour les massacres commis par ses troupes dans le Matabeland [sud pays] au début des années 80». A l’instar de nombreux analystes, Daniel Compagnon évoque aussi le rôle crucial, derrière le vieux président, de «toute une classe de politiciens et responsables qui ont conquis des positions économiques et se trouveraient dépourvus» si l’opposition gagne. «Ils sont prêts à tuer pour cela», souligne-t-il.
Que Tsvangirai remporte ou non le scrutin, Daniel Compagnon n’hésite pas à parler d’un risque de guerre civile, qui n’opposerait d’ailleurs pas forcément les partisans de la ZANU-PF et du MDC : «Le MDC est une organisation particulière qui est une alliance entre le mouvement syndical, la société civile - dont des défenseurs des droits de l’homme et des religieux - et les milieux d’affaires blancs». Dans les cercles dirigeants, en tous cas, personne ne semble prêt à prendre le maquis. «En revanche, dans les structures locales du MDC, des gens sont prêts à en découdre». Déçus par la victoire «volée» du parti au pouvoir aux élections législatives de juin 2000, les militants qui ont jusqu’ici reçu l’ordre d’éviter l’affrontement, accepteront difficilement un échec, au terme d’un nouveau scrutin tronqué. La situation est d’autant plus explosive que le contexte économique et social est catastrophique, alors que des millions de personnes sont menacées de famine dans le sud-est du pays, pour cause de sécheresse. Or, plusieurs régions sont quadrillées par des miliciens, pour la plupart des jeunes chômeurs formés à la hâte ces derniers mois. De moins en moins contrôlables, ils ont jouit jusqu’ici d’une impunité totale, bien qu'accusés de multiples exactions.
Reste à savoir quel rôle va jouer l’armée. Engagée au Congo démocratique depuis bientôt quatre ans, sa haute hiérarchie profite largement de l’exploitation des ressources naturelles de ce pays. Prudent, Robert Mugabe a, par ailleurs, veillé à augmenter les soldes des hommes de troupe à deux reprises l’année dernière et leur a proposé de bénéficier de lopins de terre dans le cadre de la réforme agraire accélérée engagée en février 2000. Daniel Compagnon n’exclut toutefois pas une rébellion parmi les officiers de rangs intermédiaires, au cas où les soldats seraient appelés à réprimer des manifestations de protestation de l’opposition.
En Afrique australe, les voisins du Zimbabwe observent très attentivement l’évolution de la situation. Tout en saluant le refus du Commonwealth, le week-end dernier, de suspendre Harare de l’organisation, l’Afrique du Sud a déjà renforcé sa présence militaire sur la frontière avec l’ancienne Rhodésie. Depuis quelques mois, des milliers de Zimbabwéens ont choisi l’exil au pays de Nelson Mandela, alors que deux millions de leurs compatriotes y vivent déjà. Et ils pourraient être beaucoup plus nombreux, en cas de sérieux dérapage dans l’ancienne Rhodésie.
Accusé désormais de complot d’assassinat contre le chef de l’Etat – un montage manifestement commandité en haut lieu - Morgan Tsvangirai ne lâche pas prise. Ces derniers jours, il a poursuivi sa campagne, en dépit de l’interdiction de certains de ses meetings et du harcèlement des partisans du pouvoir. Certains se prennent donc encore à croire que l’ancien syndicaliste peut rafler la mise. La presse privée, dont les journalistes poursuivent leur travail en dépit d’une législation de plus en plus restrictive des libertés, veut en tous cas y croire. «L'avenir de la nation est entre les mains des Zimbabwéens. Ils doivent user du secret du vote pour se libérer de la tyrannie et de la folie», écrit ainsi l’éditorialiste du Financial Gazette, l’un des plus anciens hebdomadaires locaux. Le message du Daily News, le seul quotidien indépendant du pays, est tout aussi clair : «Vous avez le droit et le pouvoir de choisir le gouvernement que vous voulez et que vous méritez. Le Zimbabwe pourrait être différent à cette heure la semaine prochaine.»
«Il n’y aura pas de divine surprise»
Chenjerai Hove, écrivain renommé et journaliste, qui a dû quitter le pays face aux pressions des services secrets locaux, estime également que le leader du MDC a encore ses chances. «Les gens sont lassés des exactions des miliciens du parti au pouvoir (…). Comment voulez-vous qu'ils votent pour Mugabe après cela ?», déclarait-il dans une interview à RFI en début de semaine. Le problème reconnaît-il, c’est que Robert Mugabe n’a aucune intention d’accepter une éventuelle défaite.
«Il n’y aura pas de divine surprise», avertit Daniel Compagnon, un politologue français spécialiste du Zimbabwe. «Mugabe a toujours combattu pour le pouvoir. Il a de plus un mépris profond pour Tsvangirai qu’il surnomme ‘small boy’ (petit garçon) et qui ‘n’a même pas combattu pour l’indépendance’. De plus s’il quittait le pouvoir en le laissant à un héritier, il ne pourrait pas rester au Zimbabwe. Même si la ZANU-PF est toujours aux affaires, il craint d’éventuelles poursuites pour les massacres commis par ses troupes dans le Matabeland [sud pays] au début des années 80». A l’instar de nombreux analystes, Daniel Compagnon évoque aussi le rôle crucial, derrière le vieux président, de «toute une classe de politiciens et responsables qui ont conquis des positions économiques et se trouveraient dépourvus» si l’opposition gagne. «Ils sont prêts à tuer pour cela», souligne-t-il.
Que Tsvangirai remporte ou non le scrutin, Daniel Compagnon n’hésite pas à parler d’un risque de guerre civile, qui n’opposerait d’ailleurs pas forcément les partisans de la ZANU-PF et du MDC : «Le MDC est une organisation particulière qui est une alliance entre le mouvement syndical, la société civile - dont des défenseurs des droits de l’homme et des religieux - et les milieux d’affaires blancs». Dans les cercles dirigeants, en tous cas, personne ne semble prêt à prendre le maquis. «En revanche, dans les structures locales du MDC, des gens sont prêts à en découdre». Déçus par la victoire «volée» du parti au pouvoir aux élections législatives de juin 2000, les militants qui ont jusqu’ici reçu l’ordre d’éviter l’affrontement, accepteront difficilement un échec, au terme d’un nouveau scrutin tronqué. La situation est d’autant plus explosive que le contexte économique et social est catastrophique, alors que des millions de personnes sont menacées de famine dans le sud-est du pays, pour cause de sécheresse. Or, plusieurs régions sont quadrillées par des miliciens, pour la plupart des jeunes chômeurs formés à la hâte ces derniers mois. De moins en moins contrôlables, ils ont jouit jusqu’ici d’une impunité totale, bien qu'accusés de multiples exactions.
Reste à savoir quel rôle va jouer l’armée. Engagée au Congo démocratique depuis bientôt quatre ans, sa haute hiérarchie profite largement de l’exploitation des ressources naturelles de ce pays. Prudent, Robert Mugabe a, par ailleurs, veillé à augmenter les soldes des hommes de troupe à deux reprises l’année dernière et leur a proposé de bénéficier de lopins de terre dans le cadre de la réforme agraire accélérée engagée en février 2000. Daniel Compagnon n’exclut toutefois pas une rébellion parmi les officiers de rangs intermédiaires, au cas où les soldats seraient appelés à réprimer des manifestations de protestation de l’opposition.
En Afrique australe, les voisins du Zimbabwe observent très attentivement l’évolution de la situation. Tout en saluant le refus du Commonwealth, le week-end dernier, de suspendre Harare de l’organisation, l’Afrique du Sud a déjà renforcé sa présence militaire sur la frontière avec l’ancienne Rhodésie. Depuis quelques mois, des milliers de Zimbabwéens ont choisi l’exil au pays de Nelson Mandela, alors que deux millions de leurs compatriotes y vivent déjà. Et ils pourraient être beaucoup plus nombreux, en cas de sérieux dérapage dans l’ancienne Rhodésie.
par Christophe Champin
Article publié le 06/03/2002