Rechercher

/ languages

Choisir langue
 

Zimbabwe

<i>«Mugabe se bat contre le peuple»</i>

Réunis en sommet à Coolum (Australie), la majorité des pays, notamment africains, du Commonwealth ont refusé de suspendre le Zimbabwe, contrairement au souhait de la Grande-Bretagne et d’autres Etats occidentaux. Pour Chenjerai Hove, les Africains qui soutiennent le président Mugabe se trompent lourdement. Considéré comme l’un des plus grands écrivains zimbabwéens, ce fils de paysan, accessoirement éditorialiste à la plume acérée, vit en exil en France. A ses yeux, Robert Mugabe mène son pays au chaos.
RFI : Depuis deux ans, Robert Mugabe a fait de la lutte contre la domination blanche son principal argument de campagne. Comment analysez-vous sa stratégie ?

CH :
Pour moi, la crise actuelle n’a rien à voir avec la question de la répartition des terres entre Blancs et Noirs. Vingt-deux ans après l’indépendance, il dit qu’il veut donner la terre au peuple ! Que faisait-il, deux décennies plus tôt ? Il essaye de jouer sur la rancœur des Noirs contre les Blancs. Mais cela ne marche pas. L’autre raison pour laquelle il est devenu violent, c’est qu’il est menacé, même dans les zones rurales, où son parti était intouchable dans le passé.

RFI :Que pensez-vous du programme de redistribution accéléré de terres appartenant à des propriétaires blancs ?

CH :
J’ai été vérifier par moi-même. Certaines personnes ont été installées de force. Le parti au pouvoir, la ZANU-PF, amène les gens en camions au milieu de nulle part. Parfois, il n’y a même pas d’école, pas un magasin pour acheter du pain.

RFI :Que se passe-t-il s’ils refusent ?

CH :
Ils se cachent, où partent et retournent dans leurs villages la nuit. Car ils n’y croient pas. Par ailleurs, les milices du parti au pouvoir sont souvent déployées dans les zones où l’on s’est beaucoup battu dans les années 70. A la fin de la guerre, les gens ont voté ZANU-PF [le mouvement de Mugabe], pour mettre fin aux combats. Aujourd’hui, les milices les menacent pour qu’ils votent pour le parti au pouvoir.

RFI : Qui sont ces fameux vétérans ?

CH :
Certains le sont réellement. Mais ceux - et ils sont nombreux -qui ont vingt-cinq ans étaient évidemment à peine nés quand la guerre a pris fin. La plupart de ces soi-disant vétérans n’ont même pas connu la guerre. Certains de ceux qui ont conduit l’occupation sont même parfois des repris de justice.

RFI : Vous avez récemment parlé, à leur propos, de véritables seigneurs de guerre ?

CH :
Certains d’entre eux tiennent effectivement des régions entières. Pour y travailler, les ONG doivent forcément passer par eux. Si elles ne leur donnent rien, elles ne peuvent y opérer. Il y a des zones où l’on ne peut se rendre. Moi-même je ne peux aller dans ma ville natale de Gokwe. Les journalistes ne peuvent y aller non plus. Aujourd’hui, la loi dit que même les journalistes zimbabwéens doivent obtenir une autorisation spéciale du ministère de l’Information pour se rendre dans certaines localités.

RFI :Pensez vous qu’on puisse arriver à la guerre civile ?

CH :
Si Mugabe perd et qu’il conserve le pouvoir, il peut y avoir un soulèvement. La guerre, je ne sais pas. Ce que je peux vous dire c’est que que certaines personnes ont déjà voté au Zimbabwe. Les miliciens se sont rendus dans certains coins avec des urnes et ont forcé les gens à mettre une croix sur les bulletins en face de Mugabe. Il n’en reste pas moins que si Mugabe gagne, les gens sauront qu’il a triché.

RFI : Que penser de l’armée. Est-elle totalement loyale ?

CH :
Quand je suis repassé au Zimbabwe, en juillet l’année dernière, les militaires ont obtenu des augmentations de 57%. En janvier de cette année, ils ont bénéficié d’une nouvelle augmentation de 100%. Je parlais à un ami l’autre jour qui me décrivait la pénurie actuelle d’huile, de maïs, de pain. Quand ces choses sont livrées dans les magasins, les militaires arrivent avec leurs armes et se servent les premiers. Ils n’ont donc pas à se plaindre. Ils sont logiquement très loyaux, en particulier les généraux. L’armée pille le Congo démocratique. Elle a formé des compagnies qui opèrent dans le bois, le diamant, et toutes sortes de ressources minérales. Je ne vois donc pas l’armée en train de se révolter. Ce qui risque de se passer, c’est que si le décompte des voix commence et que Mugabe semble perdant, ils interrompront le processus et le remettront en selle.

RFI : Pensez-vous que Tsvangirai a, malgré tout, encore une chance de remporter l’élection ?

CH :
Il peut gagner. Parce que les gens, même dans les campagnes, sont lassés des exactions des miliciens du parti au pouvoir. A Gokwe, ils sont allés dans une école, où ils ont déshabillé le directeur pour le tabasser, avant de violer les institutrices devant les enfants. Comment voulez-vous que les gens votent pour Mugabe après cela ? Il sait tout cela. D’ailleurs, maintenant les milices du parti au pouvoir agissent en ville. Car l’opposition a fait une forte campagne dans les zones rurales sur le thème «ne votez pas pour être tué». Parce qu’ils savent que le pouvoir est dans les villes. Mugabe a réalisé que s’il gagne avec une petite majorité dans les campagnes, les zones urbaines vont compenser cela par un vote massif pour l’opposition.

RFI : Pour le moment, beaucoup de gens en appellent au président sud-africain Thabo Mbeki pour qu’il fasse pression sur Mugabe. Ce qu’il ne fait pas. Comment expliquez-vous cette position ?

CH :
Mbeki connaît Mugabe depuis longtemps, depuis le temps où le président sud-africain s’occupait des Affaires internationales à l’ANC. Le Congrès national africain n’était pas en bons termes avec la ZANU-PF qui était proche du PAC [le Congrès panafricain, qui avait rompu avec le mouvement de Mandela]. L’ANC n’a pu ouvrir un bureau au Zimbabwe qu’au milieu des années 80. Thabo Mbeki est prudent, car il ne veut pas donner l’impression de prendre sa revanche.

RFI : N’est-ce pas aussi à cause de la popularité de la politique foncière de Mugabe auprès de certaines franges de la population noire sud-africaine ?

CH :
Il sait effectivement que la crise de la terre au Zimbabwe risque de se répandre chez lui, car le problème est plus grave encore en Afrique du Sud. Donc Mbeki sait que s’il stigmatise Mugabe, certains vont l’accuser d’être le complice des Blancs. Cela dit, je ne pense pas que ce genre de politique peut marcher.

RFI : Paradoxalement, Mugabe a une très bonne image dans les autres pays africains. Il a gardé celle de l’homme qui a libéré le Zimbabwe et qui essaie toujours de le
faire. Comment expliquez-vous cela?

C.H :
Il conserve cette bonne image en Afrique parce que l’Europe s’oppose à lui. D’autre part, beaucoup de pays africains ont de graves problèmes économiques. C’est toujours très facile de mettre les problèmes économiques de l’Afrique sur le dos de l’Europe. Beaucoup de gens sont paresseux intellectuellement, ils ne veulent pas penser et analyser l’histoire du pouvoir politique de Mugabe et ce qu’il en a fait. Ils disent qu’il est contre les Blancs au Zimbabwe. Mais il n’est pas contre les Blancs. Il est contre le peuple, les Noirs comme les Blancs.

RFI: Est-ce que l’Union européenne devrait adopter d’autres sanctions que celles déjà prises contre les dirigeants zimbabwéens?

CH :
Non, les sanctions personnelles qu’elle vient d’adopter suffisent. C’est bien, notamment l'interdiction de voyager. Beaucoup de gens l’appellent le «président visiteur» [parce qu’il est souvent hors du territoire]. Il rend visite à notre pays. Mais maintenant, il sera obligé de rester à la maison

RFI : Est-il toujours possible pour un intellectuel ou un journaliste de rester au Zimbabwe et de témoigner et de lutter contre ce régime depuis l’intérieur?

CH :
C’est très difficile. En temps normal, j’étais suivi par deux ou trois membres des services de sécurité partout où j’allais, mais ces derniers temps leur nombre avait augmenté. Certains jours, ils étaient même cinq. Ils me suivaient partout. Ils disaient à mes enfants que leur père allait bientôt être tué. Ils m’appelaient au milieu de la nuit. Cela devenait vraiment très difficile. Même quand je sortais simplement de chez moi pour marcher, ma famille était inquiète. Ils pensaient que j’allais être kidnappé. Il y avait des rumeurs disant que j’allais être le prochain hôte d’un centre de torture. Quand je lisais mes poèmes en public, la moitié de l’audience était composée d’agents de



par Propos recueillis par Christophe  CHAMPIN

Article publié le 04/03/2002