Zimbabwe
Mugabe de plus en plus contesté
A quelques semaines de l’élection présidentielle des 9 et 10 mars prochain, l’opinion paraît de plus en plus divisée, entre ceux qui profitent du régime du Zanu-PF et les autres, partisans d’une alternance.
De notre envoyée spéciale au Zimbabwe
«S’il n’était resté que dix ans, s’il avait su s’en aller, il serait sans doute aussi respecté que Nelson Mandela aujourd’hui» A Mbare, une ancienne township de Harare, beaucoup partagent le point de vue de Joshua, un jeune chômeur, sur Robert Mugabe. Tous les soirs, cet ancien mécanicien retrouve des amis pour de longues discussions qui n’ont plus qu’un seul sujet: l’élection présidentielle des 9 et 10 mars prochains. Beaucoup s’interrogent sur l’obstination que mettra vraisemblablement «Talibob», le dernier surnom donné à Robert Mugabe, à remporter un scrutin que tous considèrent comme gagné d’avance par l’opposition.
Comme toutes les villes du pays, Harare est acquise au Mouvement démocratique pour le changement (MDC), le parti fondé en 1999 par Morgan Tsvangirai, un ancien leader syndical. A Mbare, on tient Robert Mugabe pour le principal responsable du chômage, de l’inflation, et de la crise alimentaire qui s’annonce. La question des terres justifie sans doute une réforme pour réduire les «déséquilibres du passé», reconnaît Joshua, mais certainement pas des invasions de fermes. «Avant d’aller voler les terres des Blancs, déclare-t-il, il aurait fallu que les petits fermiers soient capables d’exploiter ce qu’ils avaient déjà, les terres communales».
«Tvangirai 60%, Mugabe 40%» ?
Paul Chimedza, un médecin généraliste installé dans le centre-ville de Harare, ne l’entend pas de cette oreille. Ce quadragénaire ne cache pas son respect pour Robert Mugabe, maître d’oeuvre d’une révolution dans l’éducation qui a tout changé, après l’indépendance, en 1980, pour les enfants du Zimbabwe. «Jamais je n’aurais rêvé devenir docteur dans la Rhodésie de Ian Smith, affirme Paul Chimedza. Les opposants peuvent dire ce qu’ils veulent, il y a 10 universités dans ce pays contre une seule à l’indépendance». Sur la question des terres, il ne doute pas de la bonne volonté de Robert Mugabe. «Le président tient à régler cette question avant de partir, affirme Paul Chimedza. Les perturbations économiques que nous traversons sont sans doute le prix à payer. Attendons la prochaine récolte, et nous verrons si les fermiers noirs ne sont pas capables de faire tourner, eux aussi, de grandes exploitations».
Comme les médias d’Etat le suggèrent sans cesse, Farai Kunonga, un jeune financier noir, est persuadé que le MDC est financé par des Blancs et vendu à des intérêts étrangers. Une publicité pour l’Union nationale africaine du Zimbabwe-Front patriotique (Zanu-PF) montre Morgan Tsvangirai sous la forme d’un pantin métallique, manipulé par des crochets rattachés à une kyrielle de puissances étrangères: l’Union européenne (UE), la Suède, le Danemark, le Canada, l’Australie, la Nouvelle-Zélande, les Etats-Unis, la Banque mondiale et le Fonds monétaire international (FMI), sans oublier l’opposant blanc sud-africain Tony Leon, le Premier ministre britannique Tony Blair et le syndicat des grands exploitants agricoles zimbabwéens (Commercial Farmers Union, CFU).
Ces accusations, cependant, ne suffisent pas à redresser la cote de popularité de Robert Mugabe. «Le vote réel se situe aux alentours de 40% pour Mugabe et 60% pour Tsvangirai», prédit John Makumbe, politologue. Pour ce sympathisant ouvert du MDC, Robert Mugabe est d’abord et avant tout un «wog» abréviation de «western orientated gentleman» (monsieur axé sur l’Occident). Bien qu’il prône «l’indigénisation» du secteur privé et des terres, Robert Mugabe est décrit par John Makumbe comme un «raciste qui accuse les Blancs de tous les maux non sans rester tiré à quatre épingles et faire son shopping chez Harrods, à Londres».
Y compris chez ses partisans de la première heure, qui voyaient en lui un héros à l’indépendance, Robert Mugabe a profondément déçu. Aujourd’hui, il est souvent comparé à son vieil ennemi Ian Smith, le Premier ministre de l’ancienne Rhodésie. L’avocat blanc David Coltart, numéro trois du MDC, reconnaît lui-même avoir admiré l’actuel président. D’ailleurs, il a précieusement conservé le télégramme que le leader nationaliste lui avait envoyé, dans les années 1970, alors qu’il faisait partie des rares jeunes blancs à militer pour l’indépendance du Zimbabwe. Dans ce message de soutien, il citait Roosevelt: «Vous ne devez avoir peur de rien d’autre que de la peur elle-même». Aujourd’hui, David Coltart estime que «le destin de ce grand homme a été brisé dès 1985 par la 5e brigade». Cette unité spéciale formée en Corée du Nord avait été envoyée dans le Matabeleland, au sud-ouest du pays, pour y mater l’opposition de l’Union nationale du peuple zimbabwéen (Zapu), l’un des mouvements de libération nationale. Les massacres, qui avaient fait 20 000 morts, continuent de hanter la vie politique du Zimbabwe. Beaucoup, comme John Makumbe, pensent que Robert Mugabe ne veut pas quitter le pouvoir, dans la crainte d’éventuelles poursuites pour crime contre l’humanité.
«S’il n’était resté que dix ans, s’il avait su s’en aller, il serait sans doute aussi respecté que Nelson Mandela aujourd’hui» A Mbare, une ancienne township de Harare, beaucoup partagent le point de vue de Joshua, un jeune chômeur, sur Robert Mugabe. Tous les soirs, cet ancien mécanicien retrouve des amis pour de longues discussions qui n’ont plus qu’un seul sujet: l’élection présidentielle des 9 et 10 mars prochains. Beaucoup s’interrogent sur l’obstination que mettra vraisemblablement «Talibob», le dernier surnom donné à Robert Mugabe, à remporter un scrutin que tous considèrent comme gagné d’avance par l’opposition.
Comme toutes les villes du pays, Harare est acquise au Mouvement démocratique pour le changement (MDC), le parti fondé en 1999 par Morgan Tsvangirai, un ancien leader syndical. A Mbare, on tient Robert Mugabe pour le principal responsable du chômage, de l’inflation, et de la crise alimentaire qui s’annonce. La question des terres justifie sans doute une réforme pour réduire les «déséquilibres du passé», reconnaît Joshua, mais certainement pas des invasions de fermes. «Avant d’aller voler les terres des Blancs, déclare-t-il, il aurait fallu que les petits fermiers soient capables d’exploiter ce qu’ils avaient déjà, les terres communales».
«Tvangirai 60%, Mugabe 40%» ?
Paul Chimedza, un médecin généraliste installé dans le centre-ville de Harare, ne l’entend pas de cette oreille. Ce quadragénaire ne cache pas son respect pour Robert Mugabe, maître d’oeuvre d’une révolution dans l’éducation qui a tout changé, après l’indépendance, en 1980, pour les enfants du Zimbabwe. «Jamais je n’aurais rêvé devenir docteur dans la Rhodésie de Ian Smith, affirme Paul Chimedza. Les opposants peuvent dire ce qu’ils veulent, il y a 10 universités dans ce pays contre une seule à l’indépendance». Sur la question des terres, il ne doute pas de la bonne volonté de Robert Mugabe. «Le président tient à régler cette question avant de partir, affirme Paul Chimedza. Les perturbations économiques que nous traversons sont sans doute le prix à payer. Attendons la prochaine récolte, et nous verrons si les fermiers noirs ne sont pas capables de faire tourner, eux aussi, de grandes exploitations».
Comme les médias d’Etat le suggèrent sans cesse, Farai Kunonga, un jeune financier noir, est persuadé que le MDC est financé par des Blancs et vendu à des intérêts étrangers. Une publicité pour l’Union nationale africaine du Zimbabwe-Front patriotique (Zanu-PF) montre Morgan Tsvangirai sous la forme d’un pantin métallique, manipulé par des crochets rattachés à une kyrielle de puissances étrangères: l’Union européenne (UE), la Suède, le Danemark, le Canada, l’Australie, la Nouvelle-Zélande, les Etats-Unis, la Banque mondiale et le Fonds monétaire international (FMI), sans oublier l’opposant blanc sud-africain Tony Leon, le Premier ministre britannique Tony Blair et le syndicat des grands exploitants agricoles zimbabwéens (Commercial Farmers Union, CFU).
Ces accusations, cependant, ne suffisent pas à redresser la cote de popularité de Robert Mugabe. «Le vote réel se situe aux alentours de 40% pour Mugabe et 60% pour Tsvangirai», prédit John Makumbe, politologue. Pour ce sympathisant ouvert du MDC, Robert Mugabe est d’abord et avant tout un «wog» abréviation de «western orientated gentleman» (monsieur axé sur l’Occident). Bien qu’il prône «l’indigénisation» du secteur privé et des terres, Robert Mugabe est décrit par John Makumbe comme un «raciste qui accuse les Blancs de tous les maux non sans rester tiré à quatre épingles et faire son shopping chez Harrods, à Londres».
Y compris chez ses partisans de la première heure, qui voyaient en lui un héros à l’indépendance, Robert Mugabe a profondément déçu. Aujourd’hui, il est souvent comparé à son vieil ennemi Ian Smith, le Premier ministre de l’ancienne Rhodésie. L’avocat blanc David Coltart, numéro trois du MDC, reconnaît lui-même avoir admiré l’actuel président. D’ailleurs, il a précieusement conservé le télégramme que le leader nationaliste lui avait envoyé, dans les années 1970, alors qu’il faisait partie des rares jeunes blancs à militer pour l’indépendance du Zimbabwe. Dans ce message de soutien, il citait Roosevelt: «Vous ne devez avoir peur de rien d’autre que de la peur elle-même». Aujourd’hui, David Coltart estime que «le destin de ce grand homme a été brisé dès 1985 par la 5e brigade». Cette unité spéciale formée en Corée du Nord avait été envoyée dans le Matabeleland, au sud-ouest du pays, pour y mater l’opposition de l’Union nationale du peuple zimbabwéen (Zapu), l’un des mouvements de libération nationale. Les massacres, qui avaient fait 20 000 morts, continuent de hanter la vie politique du Zimbabwe. Beaucoup, comme John Makumbe, pensent que Robert Mugabe ne veut pas quitter le pouvoir, dans la crainte d’éventuelles poursuites pour crime contre l’humanité.
par Sabine Cessou
Article publié le 01/02/2002