Rechercher

/ languages

Choisir langue
 

Zimbabwe

L'enlisement

Au Zimbabwe, la situation politique tendue qui prévaut depuis de longs mois pèse fortement sur l’économie. Les cadeaux faits par le pouvoir à l’approche de l’élection présidentielle du 9 et 10 mars ne vont pas améliorer la situation.
De notre envoyée spéciale au Zimbabwe

Au Zimbabwe, le salaire d’un enseignant ne dépasse pas 15 000 dollars zimbabwéens (300 euros au cours officiel) après cinq ans d’ancienneté. Un montant devenu dérisoire à cause de la flambée des prix. «Faire le plein à une station service coûte 4 000 dollars (80 euros), tandis que la moindre ordonnance médicale représente une dépense d’au moins 2 000 dollars (40 euros)», constate George Chirama. Comme beaucoup de ses collègues, cet enseignant a renoncé et a décidé de changer de métier. Il vient d’accepter un poste de responsable de la formation pour les supermarchés Spar. Il gagnera quatre fois plus, 56 000 dollars nets par mois (1150 euros).

Pour ce sympathisant de l’opposition, rien n’est réglé pour autant. Selon lui, le pays n’aura pas d’avenir tant que le «camarade président» Robert Mugabe restera au pouvoir. La crise a commencé en 1997, rappelle Danny Dube, un jeune financier établi à Harare, la capitale. «Nous avons mal géré le mieux ressenti en 1996, avec une couverture des importations de 6 à 8 mois, positive pour la première fois. Nous avons commencé à tout importer, des voitures, de l’eau, et nous nous sommes retrouvés en 1997 à court de devises. En novembre de la même année, le pouvoir a manifesté son intention de saisir des terres. A partir de ce moment là, les investisseurs ont perdu confiance et le pays a plongé.»

La fuite des cerveaux

A l’époque, Danny Dube, jeune diplômé en économie, avait approché le Syndicat des exploitants agricoles (CFU), qui regroupe la plupart des fermiers blancs, pour lui suggérer de soumettre au gouvernement un programme précis de redistribution, au lieu de rester sur des positions défensives. «Ils ne m’ont pas pris au sérieux, se souvient Danny Dube, ils se sont montrés très soupçonneux à l’égard d’un Noir comme moi. Ils m’ont soupçonné d’être un espion ou d’être payé par le gouvernement».

Aujourd’hui directeur de la société financière Innofin Africa, Danny Dube vient de mettre au point un produit financier destiné aux exportateurs africains. Il sera d’abord testé au Kenya, un pays en passe de supplanter le Zimbabwe dans le domaine de l’exportation de roses et autres fleurs vendues à contre-saison en Europe.

Une manière pour lui d’éviter une émigration que les jeunes professionnels, Noirs comme Blancs, sont de plus en plus nombreux à pratiquer. Faute de toute statistique officielle sur la véritable fuite des cerveaux qui se produit depuis deux ans, la presse indépendante a estimé la vague de départs à une moyenne de 4 000 par mois à la fin 2001. Après avoir enregistré un pic de 1 900 candidats à l’émigration, les autorités du Canada auraient décidé d’instaurer un système de visas. Les destinations favorites sont l’Afrique du Sud et la Grande-Bretagne, avant les Etats-Unis, la Nouvelle-Zélande et l’Australie. Parmi les corps de métier les plus touchés figurent les infirmières et les professions libérales, architectes, médecins et autres comptables.

Pour les chefs d’entreprises, tout est suspendu au résultat de l’élection présidentielle des 9 et 10 mars prochains. Beaucoup espèrent une embellie, dans l’hypothèse d’une victoire du Mouvement démocratique pour le changement (MDC), le principal parti d’opposition. La plupart cependant, redoutent le maintien de Robert Mugabe au pouvoir et l’aggravation d’une crise d’abord et avant tout politique.

Beaucoup, y compris parmi les défenseurs que compte l’actuel président, affirment que le pays n’a pas été bien géré. Sans même mentionner l’intervention militaire du Zimbabwe en République démocratique du Congo, un gouffre financier qui a valu au pays la suspension de tout décaissement de la Banque mondiale et du Fond monétaire international (FMI), Walter Manyika, consultant et sympathisant du Zanu-PF, évoque les dons en semences et engrais aux envahisseurs de fermes. «Ces produits semblent arriver de nulle part, explique-t-il, personne n’a à payer pour les avoir, et ils contribuent inévitablement au déficit budgétaire». Les dérapages incontrôlés des dépenses publiques, financés par la planche à billet, alimentent une inflation galopante (112 % en 2001). Conjuguée aux invasions des fermes détenues par les Blancs, cette gestion est devenue impardonnable aux yeux des bailleurs de fonds. Certains, parmi eux, refusent de fournir une aide quelconque pour soulager la crise alimentaire qui a déjà commencé, estimant que la pénurie de maïs résulte des choix politiques de Robert Mugabe.



par Sabine  Cessou

Article publié le 17/02/2002