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Zimbabwe

Harare en campagne

Aux derniers jours de la campagne, la détermination des partisans de Robert Mugabe comme de ceux de ses adversaire n’a pas fléchi et chacun est prêt à défendre chèrement son vote.
De notre envoyée spéciale à Harare

«Pour qui je vais voter ? C’est évident!». Ce mot, «évident», est à toutes les lèvres dans les quartiers populaires de la capitale, de Mbare à Chitungwiza. Dans ces «zones de haute densité», comme on les appelle pour ne plus dire «township» et ne plus réveiller les mauvais souvenirs de l’apartheid, on survit au jour le jour. Les uns ont transformé des abris de bus en échoppes de mécaniciens, les autres se sont recyclés dans la vente de fruits et légumes… Le secteur informel a explosé, empêchant depuis deux ans la révolte d’éclater. Mais pour beaucoup, la coupe est pleine.

Chaque fois qu’un meeting de campagne de l’Union nationale africaine du Zimbabwe-Front patriotique (Zanu-PF) est organisé dans un quartier, les rues sont désertées. «Chacun reste chez soi, pour ne pas être ramassé par les milices de la Zanu et être obligé d’aller assister au meeting», explique un jeune commerçant. La nuit tombée, se promener ou aller boire une bière est devenu risqué. Les milices de jeunes du Zanu-PF, cantonnées dans des maisons que tous les habitants connaissent, demandent à chacun de présenter sa carte du parti. Ceux qui ne l’ont pas ont droit, au mieux, à un achat forcé, au pire à la bastonnade. «Une petite fille de 10 ans a eu cinq dents cassées, après avoir été frappée parce qu’elle ne connaissait pas les slogans de campagne de Robert Mugabe», affirme Sharon Tidika, une habitante de Chitungwiza, couturière au chômage depuis douze ans. «Tous les soirs, poursuit-elle, j’apprends ‘la terre au peuple, tout de suite’ et d’autres slogans à mes enfants, pour les protéger».

A la veille du scrutin, les rumeurs vont bon train sur d’éventuelles distributions de maïs. Les pénuries, dans la capitale, ont privé ces dernières semaines les familles de leur plat principal, le sadza, la pâte de maïs consommée à tous les repas. «Les milices ont sciemment organisé la pénurie sur Harare et promis de distribuer du maïs samedi, le jour du vote, affirme Jason Shiri, un chauffeur de taxi. Au lieu de faire la queue devant les bureaux de vote, les gens iront la faire devant les magasins pour avoir à manger».

Défendre son vote dans la rue

Dans un pareil contexte, le MDC prêche à des foules de convaincus. «Morgan Tsvangirai pourra faire ce qu’il voudra, je m’en fiche, déclare Sharon Tidika, pourvu que Mugabe s’en aille». Les pleines pages de publicité que l’opposition s’est payée dans les journaux indépendants, promettent du maïs et des emplois, mais aussi la stabilisation des prix, une réforme agraire «productive et ordonnée», la paix et l’assistance de l’État aux malades du sida, dans un pays où plus de 30 % de la population adulte est contaminée. Sourire aux lèvres, une expression qui tranche avec l’air sérieux et le poing constamment levé de Robert Mugabe, Morgan Tsvangirai a posé pour les photos de campagne avec un bébé dans les bras. Une image soulignée par le slogan «je vous protègerai».

Les publicités du Zanu-PF, dans les quotidiens pro-gouvernementaux, sont sur la défensive. «Ne soyez pas un vendu, retournez au peuple», lance un slogan de campagne. «Tirez les vendus du MDC dans la chasse d’eau de Tony Blair», affirme un autre, accusant le Premier ministre britannique de soutenir l’opposition pour mieux recoloniser le Zimbabwe. Robert Mugabe défend son bilan, et rappelle dans cet ordre avoir «rendu la terre au peuple, contrôlé les prix des produits de base, tiré des emplois et des richesses de la terre, construit un million de nouvelles maisons, fait mieux en matière d’éducation et contrôlé la maladie mortelle du sida»… De Chitungwiza à Mbare, beaucoup se disent prêts à descendre dans la rue pour aller défendre leur vote, en cas de victoire truquée de Mugabe. «Si nous manifestons en nombre, la police ne pourra rien contre nous», affirme Phoebe Rukande, une jeune enseignante, l’air excédé.



par Sabine  Cessou

Article publié le 08/03/2002