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Zimbabwe

L’angoisse des fermiers blancs

Désignés à la vindicte par Robert Mugabe, les fermiers blancs sont accusés de tous les maux du Zimbabwe. Certains pensent à émigrer.
De notre envoyée spéciale

John Ferris a tout perdu. Avec sa femme et leurs trois enfants, il habite depuis fin janvier un appartement de Borrowdale, une quartier résidentiel de Harare, la capitale. Comme ce logement, une voiture lui a été prêtée par un ami, agent immobilier. Ce fermier blanc de Karuve, une localité proche de la capitale, Harare, a préféré tout quitter, maison, champs et équipements, plutôt que de risquer sa peau et celle de ses enfants. «Moins de dix fermiers blancs ont été tués depuis le début des invasions, il y a deux ans, mais la violence n’est pas seulement physique», explique John Ferris. Des anciens combattants de l’Union nationale africaine du Zimbabwe-Front patriotique (Zanu-PF), le parti au pouvoir, sont venus lui interdire de continuer à cultiver et de ramasser sa récolte.

Aujourd’hui, il envisage d’émigrer en Australie, où se sont déjà installés une centaine de ses collègues. Mais avant de prendre une décision, il attend, comme tout le monde, le résultat des élections. «Comprenez-moi bien, s’exclame-t-il, je ne veux pas aller en Australie! Je veux vivre ici, dans mon pays, là où nous avons tout construit depuis cinq générations». Même si l’opposition gagne contre Robert Mugabe, il n’a pas grand espoir de récupérer ses terres. Il pense cependant pouvoir toucher une compensation.

«La majorité des fermiers blancs vit encore sur ses fermes et n’a aucune intention de partir», martèle Richard Winkfield, un ancien exploitant agricole qui a fondé le Farms Families Trust (FFT), l’une des quatre organisations basées à Harare pour aider les fermiers en difficultés. «Sur les 3500 fermiers blancs qu’il y a dans le pays, pas plus de 200 ont émigré, dans la plupart des cas parce qu’ils ont été chassés de leurs fermes, poursuit-il. Une vingtaine de fermiers sont retournés en Grande Bretagne en tant que réfugiés. Ceux qui se sont implantés en Zambie ou qui sont allés en missions de reconnaissance au Mozambique n’ont pas pour autant quitté le pays. Ils ont conservé au moins une partie de leur ferme au Zimbabwe».

Traumatisme psychologique

Depuis sa fondation, il y a deux ans, le FFT a dépensé 25 millions de dollars zimbabwéens (un million de rands) pour venir en aide à une centaine de familles. Ce fonds de solidarité informel, qui sollicite les entreprises du pays et les donateurs étrangers, donne de quoi vivre trois mois à ceux qui ont tout perdu. L’essentiel de son effort, cependant, porte sur le traumatisme psychologique subi par les fermiers. «Il y a la peur, l’incertitude… Quand vous avez vu votre maison brûler, ce souvenir peut vous hanter pendant des années. Nous essayons d’encourager les fermiers, en leur disant que tout ça ne va pas durer très longtemps».

L’air désolé, Leslie de Jager, un grand exploitant de fleurs et de tabac de Chinhoyi, à 120 km au nord de Harare, regarde chez son fils une cassette vidéo qui montre le pillage de sa maison, en août dernier. Tournées par une compagnie d’assurances, ces images de grilles pliées, de plafonds éventrés et de cadres de fenêtres arrachés lui soulèvent encore le cœur. La semaine dernière, l’un des ses deux fils a été agressé sur l’une des trois fermes familiales, aux trois quarts envahies. Nuque et bras entaillés à coups de lance, il s’est retrouvé en soins intensifs à l’hôpital de Harare.

Leslie de Jager, cependant, a décidé de résister. «Pour rester positif et ne pas sombrer dans la dépression, je joue au golf», dit-il. «Sur le green, on se concentre sur la balle, et pas sur les problèmes de la ferme, dit-il. On peut aussi s’imaginer que la balle est la tête du ministre de l’Information, et taper aussi fort que possible!» Leslie de Jager n’a envisagé aucun plan de secours, en cas de victoire de Robert Mugabe et d’aggravation de la situation. «Mes enfants me disent que je suis dans le déni, sourit-il. Nous verrons bien après les résultats. S’il faut partir, nous irons vers le Nord. C’est la frontière la plus proche».



par Sabine  Cessou

Article publié le 12/03/2002