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Togo

Un dialogue toujours hypothétique

Yawovi Agboyibo, président du CAR (Comité d’action pour le renouveau) est sorti de prison, comme le souhaitaient les partis d’opposition, mais la relance du dialogue politique inter-togolais reste toujours hypothétique. L’opposition et le pouvoir font chacun un pas, le qualifiant de geste d’apaisement mais aussi de concession majeure pour obtenir l’un de l’autre de lâcher du leste.
Depuis onze ans, le pouvoir togolais essaye d’installer un régime démocratique, qui manifestement n’est plus une histoire d’institution mais relève plutôt d’un manque de volonté politique «à passer à autre chose». Le général Eyadema, au pouvoir depuis 36 ans, a juste accepté l’existence d’autres partis politiques que le sien, le RPT (Rassemblement du peuple togolais). Mais le fonctionnement de l’Etat à travers ses institutions n’a pas fondamentalement changé depuis 1967. Le système Eyadema tolère maintenant une opposition, mais pour autant n’admet pas sa participation à la conduite des affaires de l’Etat. Et c’est bien là le nœud du problème togolais.

L’opposition togolaise avait fait de la libération de Yaovi Agboyibo, un préalable à la relance du dialogue avec le pouvoir. Mais le caractère exclusif de la démarche a divisé cette opposition dont une partie craignait que ce préalable ne serve de monnaie d’échange au pouvoir et un prétexte à convoquer tout le monde à des négociations dont les dés sont pipés dès le départ. Mais c’est une politique du consensus que prône le nouveau «facilitateur» Lansana Kouyaté qui veut à tout prix remettre sur les rails le CPS (Comité paritaire de suivi des Accords de Lomé, signés en 1999). Des accords qui prévoyaient un cadre d’actions pour la démocratisation du régime. Mais d’élections contestées en élections reportées, jamais les institutions et instruments d’un régime démocratique n’ont pu équitablement fonctionner au Togo.

Les récentes modifications du code électoral et la réorganisation de la CENI (Commission électorale nationale indépendante), puis le troisième report des élections législatives, prévues le 10 mars dernier, avaient conduit l’opposition à prendre ses distances. Elle se dit aujourd’hui favorable à la reprise du dialogue inter-togolais, comme le souhaite aussi Yawovi Agboyibo, mais un problème reste entier: la modification de la loi électorale par l’Assemblée nationale, entièrement composée de députés du RPT et de partis proches du pouvoir. L’opposition qui conteste cette révision et demande au gouvernement de revenir aux dispositions prévues par les Accords de Lomé en 1999, avant qu’elle n’accepte de nouveaux rounds de négociations.

La ruse d’Eyadema

Mais pour contourner cette difficulté, le pouvoir Eyadema a recours à la bonne vieille recette digne des régimes à parti unique, qui consiste à se faire «plébisciter» par des manifestations de masse. L’adhésion du peuple aux choix du «timonier» est alors montrée pour convaincre l’opinion internationale de la justesse des orientations décidées en haut lieu. A Lomé plusieurs marches de soutien ont déjà été savamment organisées par le «Parti» qui jure néanmoins de son innocence et garantit la spontanéité du phénomène. Le peuple pris à témoin salue la «magnanimité et la générosité» du président, comme cela a, déjà aussi, été le cas sur les antennes de la radio et de la télévision nationales. La réorganisation de l’échiquier politique participe également de cette logique de désignation des mauvais citoyens. Aussi dix petits partis politiques ont-ils été incités à se regrouper dans une « Coordination des partis politiques de l’opposition constructive», CEPOC. Tous ces partis reconnus de la mouvance présidentielle, qui n’ont pas été impliqués dans la signature des «Accords cadres de Lomé de 1999» réclament aujourd’hui justice, c’est-à-dire un traitement équitable par une présence effective dans les «structures organisationnelles du prochain scrutin», comme tous les autres grands partis de l’opposition.

Le jeu est subtile. Il consiste, au pire, à remplacer les représentants des partis d’opposition membres de la CENI, qui refusent les termes de la loi électorale revue et corrigée. Au mieux, le gouvernement soumet à l’Assemblée nationale, qui adopte naturellement sa proposition «politiquement correcte» d’intégrer des représentants de la CEPOC à la CENI. Dans les deux cas l’opposition est ou marginalisée, ou mise en minorité. Le processus électoral pourra alors reprendre son cours et le «plus démocratiquement du monde» conforter le pouvoir en place dans ses positions. L’opposition dénonce la tactique, mais ses craintes sont relativisées par Lansana Kouyaté le nouveau «facilitateur» qui ne veut pas être accusé par le pouvoir de faire un procès d’intention.

Mais les partis d’opposition n’affichent pas une unité sans faille devant la ruse du pouvoir. Certains seraient prêts à faire quelques compromis, dans le seul souci, disent-ils «d’alléger les souffrances du peuple togolais». Pour d’autres, le Comité paritaire de suivi des Accords de Lomé, n’est plus une structure capable «d’encadrer efficacement le processus démocratique au Togo». Ces derniers réclament la mise en place d’une nouvelle structure, et une réflexion sur de nouvelles approches au traitement du problème togolais, car, à leurs yeux, ne pas arriver à installer un processus démocratique, au bout de onze années de tractation, relève du «gag». On attend une prochaine convocation d’un forum des partis d’opposition au Togo qui annoncent, d’ores et déjà, qu’ils constitueront «une coalition de la fermeté».



par Didier  Samson

Article publié le 21/03/2002