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Syndrome du Golfe

L’héritage de la bombe

Les essais nucléaires français, qui se sont déroulés au Sahara et en Polynésie, auraient eu de graves conséquences sur la santé des militaires et des populations environnantes. Depuis sa création en juin 2001, l’Association des Vétérans des essais nucléaires français tente d’obtenir réparation.
Paru au mois de janvier 2002, l’ouvrage de Bruno Barrillot (1) a fait l’effet d’une bombe ! Son auteur, directeur du Centre de documentation et de recherche sur la paix et les conflits (CDRPC), mène depuis plusieurs années des recherches sur les essais nucléaires français. Et d’écrire: «les essais nucléaires de la France n’ont pas, contrairement à ce qu’affirment sans cesse depuis quarante ans nos dirigeants militaires et politiques et la plupart des scientifiques du CEA (2), été sans accidents et incidents ni sans conséquences nocives pour la santé et l’environnement». Dans «l’héritage de la bombe», Bruno Barrillot revient tout d’abord sur les principaux ratages de la bombe lors des essais qui se sont déroulés au Sahara entre 1960 et 1966 et en Polynésie entre 1966 et 1996. A l’époque, la presse se fait d’ailleurs l’écho du tir raté du 1er mai 1962, dans le Sahara: «la puissance prévue était de quinze kilotonnes mais une erreur de réglage dans le dispositif de l’engin aurait provoqué un tir de soixante kilotonnes».

Mais l’auteur va plus loin. Non seulement il met à jour d’autres tirs ratés, jusqu’alors inconnus, mais surtout, il témoigne des effets qu’ont eus les essais sur la santé des personnels présents sur les sites. C’est en recueillant de nombreux récits de vétérans, dont certains sont atteints de cancers, que Bruno Barrillot a l’idée de fonder l’Association des Vétérans des essais nucléaires français. Elle voit le jour en juin 2001 et son président, le Dr Jean-Louis Valatx, a lui-même assisté en tant que médecin militaire au dernier essai du Sahara, en 1966. L’objectif de cette association: obtenir, comme le permettent les Etats-Unis depuis 1988, que soit accordée aux vétérans malades une présomption de lien avec le service donnant droit, par la suite, à des indemnités. En janvier dernier, un rapport officiel de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et techniques était publié. Conclusion des auteurs: «les essais nucléaires ne se sont pas réalisés sans altérer l’environnement des sites utilisés et sans comprendre de risques humains». Mais, «on peut toutefois considérer que ces effets ont été limités, même si, quarante ans plus tard, des hommes se plaignent d’hypothétiques effets sur leur santé». Le combat sera difficile. Le Docteur Jean-Louis Valtax, président de l’Association des vétérans des essais nucléaires français et directeur de recherches à l’Inserm, le reconnaît, mais entend faire prévaloir les droits humains sur des raisons d’Etat.

Obtenir réparations

b>Rfi: Quelles sont les priorités de votre association ?

Jean-Louis Valtax: Tout d’abord, obtenir la reconnaissance par l’Etat de l’existence de maladies dues à l’irradiation et à la contamination des personnes qui ont participé aux essais nucléaires. En France, une cinquantaine de vétérans ont d’ores et déjà essayé de faire reconnaître leurs droits auprès du tribunal des pensions militaires. Leurs démarches ont échoué. En effet, pour qu’une maladie soit imputable au service à l’armée, il faut qu’elle se déclare au maximum trois mois après la fin du service. Or, dans le cas des vétérans des essais nucléaires, les maladies- principalement des cancers- se déclenchent au bout de cinq, dix voire quinze ans. La législation française n’est pas adaptée. Le 22 janvier dernier, la députée Marie-Hélène Aubert a d’ailleurs déposé une proposition de loi demandant que la présomption de lien avec le service soit accordée aux vétérans qui peuvent prouver qu’ils ont été sur des sites nucléaires. De même, elle prévoit que soit dressée une liste de maladies pour lesquelles les vétérans seront indemnisés. Aux Etats-Unis, le Congrès a adopté une loi similaire en 1988.

Rfi: Vous demandez également l’ouverture des archives sur les essais nucléaires, aujourd’hui couvertes par le secret défense ?

J-L V: Les archives, dont les dossiers médicaux des vétérans, sont classées secret défense. Or, nous estimons qu’en dehors des documents qui concernent directement l’aspect technique de la bombe, ces archives n’ont pas à être couvertes par le secret militaire. Aujourd’hui, sur nos 500 adhérents, 50 environ sont des veuves de vétérans. Leurs maris sont tous décédés de différents cancers et ils étaient en général âgés de moins de 50 ans. Or, d’après des enquêtes menées aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne, le nombre de cancers chez les vétérans n’est pas plus élevé que dans le reste de la population. Mais les vétérans décèdent prématurément.

Rfi: Pensez-vous obtenir une avancée sur ces deux points dans les mois à venir?

J-L V: Avant, les vétérans étaient isolés. Maintenant, ils sont regroupés. Les précédents- syndrome du Golfe et du Kosovo- où les vétérans se sont réunis en association le prouvent: on peut obtenir que des enquêtes complémentaires soient menées. Dans les mois à venir, nous allons contribuer à mieux faire connaître la proposition de loi déposée par Marie-Hélène Aubert et interpeller les candidats à la présidentielle et aux législatives sur ce sujet.


(1) L’héritage de la bombe, Polynésie, Sahara (1960-2002), de Bruno Barrillot, Etudes du CDRPC (Centre de Documentation et de Recherche sur la Paix et les Conflits)/Observatoire des armes nucléaires françaises, 318 pages, janvier 2002.
(2) Commissariat à l’énergie atomique.



par Propos recueillis par Estelle  Nouel

Article publié le 24/03/2002